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DE WILHELM MEISTER. 375

voyais certaines conjonctures et certains emnarras, et le mai éclata plus vite que je n’avais présume c’est qu’il avait retenu jusqu’alors certains aveux, et, à la tin, il ne m’en dit qu’autant qu’il en fallait pour me faire deviner le pire.

Quelle impression cela produisit sur mon cœur ! Je faisais des expériences toutes nouvelles. Je voyais, avec une douleur inexprimable, un Agathon’, qui, élevé dans les bosquets de Delphes, devait encore le prix de son apprentissage et le payait maintenant avec de lourds arrérages ; et cet Agathon était mon intime ami ! Ma sympathie fut vive et complète je souffrais avec lui, et nous nous trouvâmes tous deux dans la plus singulière position.

Après m’être longtemps occupée de ses sentiments, mes réflexions se reportèrent sur moi-même. « Tu ne vaux pas mieux que lui, » me disais-je, et cette pensée s’éleva devant moi comme un petit nuage, se développa par degrés, et remplit de ténèbres mon âme tout entière.

Alors je ne m’en tins plus à me dire « Tu ne vaux pas mieux que lui ; » je le sentis, et de telle sorte, que je ne voudrais pas le sentir une seconde fois. Et ce ne fut pas une disposition passagère. Durant plus d’une année, je dus reconnaître que, si une invisible main ne m’avait pas gardée, j’aurais pu devenir un Girard, un Cartouche, un Damiens ou tout autre monstre. J’en apercevais distinctement les dispositions dans mon cœur. Dieu, quelle découverte !

Si jusqu’alors je n’avais pu distinguer en moi, par l’expérience, même au degré le plus faible. la réalité du péché, j’en avais désormais pressenti clairement, et de la manière la plus effrayante, la possibilité, et pourtant je ne connaissais pas le mal, je le craignais seulement ; je sentais que je pourrais devenir coupable, et n’avais pas lieu de m’accuser.

Autant j’étais profondément convaincue qu’une pareille disposition d’esprit, où je devais reconnaître la mienne, ne pouvait convenir à l’union avec l’Être suprême, que j’espérais 1. Allusion au roman de Wieland. Agathon, jeune homme d’une grande sensibilité et d’une imagination ardente, est élevé a Delphes dans les idées spiritualistes de Pythagore, puis il s’égare longtemps dans le sensualisme par l’influence du sophiste Hippias.