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DE WILHELM MEISTER. 419

ténèbres de mon état. Aucun rayon d’une divinité ne m’ap« paraît dans cette nuit ; je verse toutes mes larmes avec moi« même et pour moi-même. Rien ne m’est plus douloureux que « l’amour et l’amitié ; car eux seuls ils éveillent chez moi le déa sir que les apparitions qui m’environnent soient des réalités. « Mais ces deux spectres ne sont eux-mêmes sortis de l’abîme ’< que pour me torturer, et pour me ravir enfin jusqu’au pré« cieux sentiment de cette monstrueuse existence. » « Il vous faudrait l’entendre, poursuivit le docteur, lorsqu’il soulage ainsi son cœur dans ses heures d’épanchement. Il m’a fait éprouver quelquefois la plus grande émotion. Si quelque circonstance le force d’avouer un moment que le temps a marché, il semble comme étonné, et puis il rejette ce changement extérieur, comme une pure vision. Un soir, il chanta des strophes sur ses cheveux blancs nous étions tous assis autour de lui, et nos larmes coulèrent.

Ah procurez-moi ces vers s’écria Wilhelm.

N’avez-vous rien découvert, demanda Jarno, sur ce qu’il appelle son crime, sur la cause de son singulier costume, sur sa conduite lors de l’incendie, sur sa fureur contre l’enfant ? Nous ne pouvons former sur son sort que des conjectures l’interroger directement serait contraire à nos principes. Ayant reconnu qu’il a été élevé dans la religion catholique, nous avons cru que la confession lui procurerait quelque soulagement ; mais il témoigne un éloignement étrange, quand nous voulons le mettre en rapport avec un prêtre. Cependant, pour ne pas laisser tout à fait sans satisfaction votre désir de savoir quelque chose sur son compte, je vous dirai du moins nos suppositions. Il a passé .sa jeunesse dans l’état monastique c’est apparemment pour cela qu’il porte un long vêtement et qu’il laisse croître sa barbe. Les plaisirs de l’amour lui furent longtemps inconnus ; mais, assez tard, ses égarements avec une très-proche parente, et la mort de cette femme, qui donna le jour à une infortunée créature, paraissent avoir complétement troublé sa raison. Sa plus grande folie consiste à croire qu’il porte partout le malheur avec lui et qu’un petit garçon causera sa mort. Il se défia d’abord de Mignon, avant de savoir qu’elle fût une fille. Ensuite, ce fut Félix qui l’inquiéta ; et comme, avec