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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/462

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458 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

« Elle s’abandonna tout entière à sa passion, et je n’ai pas hesoin de vous demander si vous fûtes heureux. J’avais un pouvoir sans bornes sur son esprit, parce que je savais tous les moyens de satisfaire ses fantaisies je ne pouvais rien sur son cœur, parce qu’elle n’approuvait jamais ce que je faisais pour elle, ce que je lui conseillais, contre ses sentiments secrets. Elle ne cédait qu’au besoin impérieux, et le besoin lui parut bientôt extrême. Dans ses plus jeunes années, elle n’avait manqué de rien. Sa famille fut ruinée par de malheureuses circonstances ; la pauvre fille s’était fait toutes sortes de besoins, et l’on avait gravé dans sa petite âme de bons principes, qui la rendaient inquiète, sans lui servir à grand’chose. Elle n’avait pas la moindre habileté dans les affaires de la vie elle était innocente, dans le vrai sens du mot ; elle n’avait pas l’idée qu’on pût acheter sans payer rien ne l’inquiétait plus que les dettes ; elle était toujours plus disposée à donner qu’à recevoir, et une pareille situation pouvait seule la contraindre à se livrer elle-même, pour payer une foule de petites dettes.

Et tu n’aurais pu la sauver s’écria Wilhelm avec colère. Fort bien, dit la vieille, en souffrant la gène et la faim le chagrin et l’indigence ! Et c’est à quoi je ne fus jamais disposée.

Exécrable, infâme entremetteuse Ainsi donc tu as sacrifié cette infortunée ! Tu l’as immolée à ton gosier à ton insatiable gourmandise !

Vous feriez mieux de vous modérer et de m’épargner vos injures. S’il vous plaît d’insulter les gens, allez dans vos grandes et nobles maisons là vous rencontrerez des mères tourmentées du souci de trouver, pour une aimable et délicieuse jeune fille, l’époux le plus abominable, pourvu qu’il soit le plus riche. Voyez la pauvre enfant trembler et frémir du sort qu’on lui prépare, et ne trouver de consolation que lorsqu’une amie expérimentée lui fait comprendre que, par le mariage, elle acquiert le droit de disposer à son gré de son cœur et de sa personne. Tais-toi crois-tu donc qu’un crime puisse être excusé par un autre ? Poursuis ton récit, sans plus faire d’observations. Ecoutez-moi donc sans me blâmer. Marianne fut à vous contre ma volonté, et, du moins dans cette aventure, je n’ai