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DE WILHELM MEISTER. 459

rien à me reprocher. i\orberg était de retour ; il revint bien vite chez Marianne, qui le reçut froidement et de mauvaise grâce, et ne lui permit pas même un baiser. J’usai de toute mon adresse pour excuser sa conduite je dis a Norberg qu’un confesseur avait alarmé la conscience de Marianne, et qu’il faut respecter une conscience tant qu’elle parle. Je réussis à l’éloigner, et lui promis que je ferais pour le mieux. Il était riche et violent, mais il avait un fonds de bonhomie, et il aimait Marianne éperdument. Il me promit de patienter, et je m’employai avec zèle, pour que l’épreuve ne fût pas trop dure. J’eus à soutenir avec Marianne un rude combat. Je la persuadai, je puis dire même, je la contraignis enfin, en menaçant de l’abandonner, d’écrire à son amant et de l’inviter pour la nuit. Vous arrivez et, par hasard, vous enlevez la réponse dans le mouchoir. Votre présence imprévue avait rendu mon rôle difficile. A peine fûtesvous parti, que les angoisses de Marianne recommencèrent. Elle jura qu’elle ne pouvait vous être infidèle, et sa passion et son exaltation furent telles, qu’elle me fit une sincère pitié. Je lui promis enfin de calmer Korberg encore cette nuit et de l’éloigner sous divers prétextes. Je la priai de se mettre au lit, mais elle parut se défier de moi elle se coucha tout habillée, et, tout émue et tout éplorée, elle finit par s’endormir.

Norberg arriva et je cherchai à le contenir ; je lui peignis les remords et le repentir de Marianne sous les plus noires couleurs. Il demanda seulement de la voir, et j’entrai dans sa chambre pour la préparer. Il me suivit, et nous approchâmes ensemble de son lit. Elle s’éveille, s’élance du lit avec fureur et s’arrache de nos bras ; elle conjure, prie, supplie, menace, et finit par déclarer qu’elle ne cédera point. Elle fut assez imprudente pour laisser échapper, au sujet de son véritable amour, quelques mots, que le pauvre Norberg dut s’expliquer dans un sens spirituel. Il finit par la quitter et elle s’enferma. Je le retins longtemps encore auprès de moi, et l’entretins de l’état de Marianne, qu’elle était enceinte, et qu’il fallait ménager la pauvre enfant. Il se sentit si fier de sa paternité ; il fut si joyeux de pouvoir espérer un beau garçon, qu’il consentit à tout ce qu’elle exigeait de lui, et promit de voyager quelque temps, plutôt que de tourmenter sa maîtresse, et de nuire à sa santé par ces émotions