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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/464

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460 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

violentes. C’est dans ces sentiments qu’il s’esquiva de grand matin, et vous, monsieur, si vous avez fait sentinelle, il n’aurait rien manqué à votre bonheur que de pouvoir lire dans le cœur de votre rival, que vous avez cru si heureux, si favorisé, et dont l’apparition vous réduisit au désespoir.

Dis-tu vrai ? s’écria Wilhelm.

Aussi vrai que j’espère vous y réduire encore oui, sans doute, vous seriez désespéré, si je pouvais vous faire une vive peinture de notre matinée après cette nuit. Que Marianne fut joyeuse à son réveil Avec quelle amitié elle m’appela auprès d’elle ! Comme elle me remercia vivement ! Comme elle me pressa tendrement sur son cœur

« A présent, disait-elle, en souriant à son miroir, je puis jouir de moi-même, jouir de ma beauté, puisque je m’appartiens « encore, que j’appartiens a mon unique ami ! Qu’il est doux « d’avoir triomphé ! Quelle jouissance céleste on goûte à suivre son cœur ! Combien je te remercie d’avoir eu pitié de moi, « d’avoir une fois employé ton esprit, ton adresse, pour mon « avantage Assiste-moi, et songe à ce qui peut me rendre par« faitement heureuse

« Je cédai, je ne voulais pas l’irriter ; je flattai ses espérances ; elle me fit les plus agréables caresses. S’éloignait-elle un moment de la fenêtre, il me fallait faire sentinelle ; car vous ne pouviez manquer de passer ; on voulait du moins vous voir. Ainsi s’écoula dans l’agitation toute la journée. Le soir, nous vous attendions, pour sûr, à l’heure accoutumée. J’étais déjà aux aguets dans l’escalier ; le temps me parut long ; je revins près d’elle. Je fus bien surprise de la trouver en habit d’officier elle était d’une grâce et d’une gaieté surprenantes. « Ne mérité-je pas, dit-elle, de paraître aujourd’hui en habit « de soldat ? Ne me suis-je pas conduite en brave ? Je veux que « mon amant me voie aujourd’hui comme la première fois ; je « le presserai sur mon cœur avec la même tendresse et avec « plus de liberté car ne suis-je pas aujourd’hui sa Marianne, « beaucoup plus que dans le temps où une noble résolution ne « m’avait pas encore affranchie ? Mais, ajouta-t-elle, après quel« que réflexion, ma victoire n’est pas complète encore ; il me faut tout risquer, pour être digne de lui, pour être assurée de