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482 LES ANNÉES n’APPRKNTISSAC.H 1,,

Toute la société se rendit dans les terres pour les examiner et conclure le marché. Wilhelm gardait sans cesse Félix à ses côtés en songeant à son fils, il contemplait ce domaine avec un vif plaisir. Les cerises et les fraises, presque mûres, éveillaient la friandise de Félix et rappelaient à Wilhelm le temps de son enfance et les nombreux devoirs du père, de préparer de ’procurer et de conserver à sa famille la jouissance des biens. Avec quel intérêt il observait les pépinières et les bâtiments Avec quelle ardeur il se disposait à réparer ce qui était négligé, à relever ce qui tombait en ruines Il ne voyait plus le monde en oiseau de passage il ne regardait plus un édifice comme une cabane de feuillage, bâtie à la hâte, qui sèche avant qu’on l’abandonne. Tout ce qu’il se proposait d’établir devait grandir pour l’enfant ; tout ce qu’il voulait fonder aurait la durée de plusieurs générations. Dans ce sens ses années d’apprentissage étaient finies, et, avec les sentiments d’un père, il avait acquis toutes les vertus d’un citoyen. Il le sentait, et sa joie était sans égale.

a 0 inutile rigueur de la morale s’écriait-il, puisque la nature nous forme, par ses aimables leçons, à tout ce que nous devons être ! 0 singulières prétentions de la société civile, qui d’abord nous trouble et nous égare, et qui ensuite exige de nous plus que ne fait la nature Malheur à toute espèce d’éducation qui détruit les moyens les plus efficaces de l’éducation véritable, et qui fixe nos yeux sur le but, au lieu de nous rendre heureux sur la route

Quelque variée que fût son expérience de la vie, ce ne fut qu’en observant l’enfance qu’il se forma des idées claires sur la nature de l’homme. Le théâtre, comme le monde, n’avait été pour lui qu’une poignée de dés étalés qui portent chacun sur leur face un nombre plus ou moins élevé, et qui, tous ensemblc, forment une certaine somme. Mais on pourrait dire que l’enfant était pour lui un dé unique sur les faces diverses duquel étaient gravés clairement les qualités et les défauts de la nature humaine.

Chaque jour augmentait chez Félix le désir de connaître. Quand une fois il eut appris que les objets avaient des noms, il voulut savoir le nom de chacun. 11 était persuadé que son père devait