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510 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

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avec une entière franchise. Je suis persuadée qu’il fera mon bonheur. »

Pour ce qui concerne le rang, tu sais comme j’ai pensé de tout temps sur ce point. Quelques personnes sont affreusement sensibles aux disconvenances des conditions et ne peuvent les supporter. Je ne prétends convaincre personne, mais je veux agir d’après ma conviction. Je ne songe point à donner un exemple, et je n’agis pas non plus sans avoir des exemples sous les yeux. Les disconvenances intérieures sont les seules qui me blessent ; un vase qui ne convient pas à l’objet qu’il doit renfermer beaucoup de luxe et peu dejouissance ; richesse et avarice, noblesse et grossièreté, jeunesse et pédanterie, misère et ostentation voilà les disparates qui pourraient me faire mourir, dût le monde les consacrer par son empreinte et son estime. »

Quand je me flatte que nous sommes faits l’un pour l’autre, je me fonde essentiellement sur ce qu’il te ressemble, ma chère Nathalie, à toi, que j’estime et que j’honore infiniment. Oui, il a, comme toi, ce noble désir, cette ardeur de progrès, qui nous permet de produire nous-mêmes le bien que nous croyons découvrir. Combien de fois ne t’ai-je pas blâmée en secret, de traiter telle ou telle personne, de te conduire dans telle ou telle occasion, autrement que je n’aurais fait ! Et pourtant le résultat montrait d’ordinaire que tu avais raison. Si nous voulons, n disais-tu, « prendre toujours les hommes tels qu’ils sont, nous « les rendrons plus méchants ; si nous les traitons comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être, nous les amènerons où il faut les amener, s Pour moi, je ne puis ni voir, ni agir ainsi, je le sais parfaitement. L’intelligence, l’ordre, la discipline, la règle, voilà mon élément. Je me souviens que Jarno disait Thérèse dresse « ses élèves, Nathalie forme les siens. » Il alla même un jour jusqu’à me contester absolument la foi, l’amour et l’espérance « Au lieu de la foi, disait-il, elle a l’intelligence ; au lieu de l’amour, a la constance ; au lieu de l’espoir, la confiance. Et, jeté l’avouerai, avant de te connaître, je ne voyais rien au-dessus d’une raison pure et sage ton exemple seul m’a convaincue, ani