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536 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

pensé fidèlement à cette belle persormc, et je vous assure qu’elle ne vous a pas non plus oublié, et que, si je n’avais pas dès longtemps banni de mon cœur toute trace de sentiments jaloux, je ne pourrais vous voir sans envie.

Ne me parlez plus de cette créature répliqua Wilhelm. J’avoue que l’impression de son agréable présence m’a longtemps poursuivi, mais voilà tout.

Fi donc ! qui peut renier une maîtresse ? Vous l’avez aussi parfaitement aimée qu’on pourrait le désirer. Vous n’étiez pas un jour sans lui faire quelque petit cadeau ; et, lorsqu’un Allemand donne, il aime assurément ! Il ne me restait plus qu’à vous l’enlever, et le petit officier en habit rouge s’en est fort bien tiré.

-Comment ! l’officier que nous rencontrâmes chez Philine, et qui s’enfuit avec elle, c’était vous ?

Oui, c’était moi que vous preniez pour Marianne. Nous avons bien ri de votre méprise.

Quelle cruauté ! me laisser dans une pareille incertitude ! Et qui plus est, prendre d’abord à notre service le courrier que vous envoyiez à nos trousses ! C’est un habile garçon, et dès lors il ne nous a pas quittés. Et j’aime Philine aussi follement que jamais. Elle m’a si bien ensorcelé, que je me trouve, peu s’en faut, dans un cas mythologique, et crains tous les jours quelque métamorphose.

Apprenez-moi, je vous prie, d’où vous vient cette vaste érudition ? J’admire l’étrange habitude que vous avez prise de parler toujours par allusion aux fables et aux histoires de l’antiquité.

Je suis devenu savant, et même très-savant, de la manière la plus amusante. Philine est maintenant chez moi ; nous avons loué, d’un fermier, le vieux chùteau d’une seigneurie, ou nous menons joyeuse vie, comme les lutins. Nous y avons découvert une petite bibliothèque choisie, où se trouve une bible in-folio, la chronique de Godefroi, deux volumes du T/ien~’uM eut’o~unt, l’icertTt p/~Mo.t/t’M, les écrits de Cr~/nu~ et quelques livres moins importants. Quand nous avions assez fait tapage, l’ennui nous prenait quelquefois ; nous essayâmes de lire, et l’ennui revenait plus fort nous surprendre. Philine eut enfin l’heureuse