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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/555

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DE WtLHELM MEISTER. 551

vons tant de cultures exclusives, dont chacune a pourtant la prétention de prononcer sur l’ensemble.

Ce que vous dites là n’est pas bien clair pour moi, dit Jarno, qui venait d’entrer.

Il est difficile, dit l’abbé, de s’expliquer là-dessus avec précision en peu de mots. Je me bornerai à ceci aussitôt que l’homme prétend à une activité, à des jouissances diverses, il doit aussi être capable de développer en lui des organes divers, comme indépendants les uns des autres. Quiconque veut tout faire, tout sentir, avec sa personnalité tout entière quiconque veut enchaîner, pour une pareille jouissance, tout ce qui est hors de lui, consumera son temps en efforts qui ne seront jamais satisfaits. Combien il est difficile (ce qui semble si naturel) de contempler un bon caractère, un excellent tableau, en luimême et pour lui-même ; d’écouter le chant pour le chant, d’admirer l’acteur dans l’acteur, de jouir d’un édifice pour son harmonie propre et sa durée Nous voyons, au contraire, le plus souvent, les hommes traiter tout uniment de pures œuvres d’art comme si ce fût une molle argile. Il faudrait que le marbre modelé se transformât soudain au gré de leurs inclinations, de leurs opinions, de leurs fantaisies ; que l’édifice aux fortes murailles s’étendît ou se resserrât ; on veut qu’un tableau instruise, qu’un spectacle corrige, que tout soit toute chose. Mais c’est proprement parce que la plupart des hommes sont eux-mêmes sans caractère, parce qu’ils ne peuvent donner à leur individualité aucune forme, qu’ils s’efforcent d’enlever leur forme aux objets, afin que tout devienne une matière mobile, incohérente, comme ils sont eux-mêmes. Ils finissent par tout réduire à ce qu’on nomme l’effet ; tout est relatif ; et, de la sorte, tout le devient réellement, à part la déraison et l’absurdité, qui règnent en effet d~une manière absolue.

Je vous comprends, reprit Jarno, ou plutôt je vois fort bien comment ce que vous dites se lie aux principes auxquels vous êtes si fortement attaché ; mais je ne puis être aussi rigoureux que vous avec la pauvre humanité. Je connais assez de gens qui, en présence des plus grandes œuvres de l’art et de la nature, se souviennent d’abord de leurs plus misérables besoins ; qui mènent avec eux leur conscience et leur morale à l’Opéra ; ne dé