Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/183

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changé toutes ces vues, et pourtant ni le major ni la sœur ne voulaient faire mention de la chose en ce moment.

La baronne s’éloigna, le major demeura seul devant le laconique tableau ; Hilarie survint, s’appuya innocemment sur son bras, et, considérant aussi le tableau, lui demanda lesquels de leurs parents il avait connus et lesquels vivaient encore.

Le major commença l’énumération par les plus anciens, dont il n’avait conservé, dès son enfance, qu’un vague souvenir ; puis il avança, décrivit les caractères des divers ascendants, leur ressemblance ou leur dissemblance avec leur postérité, remarqua que souvent l’aïeul reparaît dans le petit-fils, parla, en passant, de l’influence des femmes, qui, sorties de familles étrangères, changent souvent le caractère de toute une race. Il célébra la vertu de plusieurs ancêtres et collatéraux, et ne déguisa point leurs vices ; il passa sous silence ceux qui avaient fait honte à la famifle. Enfin il arriva aux derniers rejetons : là se trouvaient son frère le grand maréchal, sa sœur et lui-même, et, au-dessous son fils et Hilarie.

« Ceux-ci se regardent bien l’un l’autre au visage, » dit le major, sans ajouter ce qu’il avait dans l’esprit.

Après un moment de silence, Hilarie répondit modestement, à demi-voix et presque en soupirant :

« Et pourtant on ne blâmera jamais celui qui regarde en haut. »

En même temps elle éleva jusqu’à lui un regard qui exprimait toute sa tendresse.

« T’ai-je bien comprise ? dit le major, en se tournant de son côté.

— Je ne puis rien dire, répondit la nièce en souriant, qui ne vous soit déjà connu.

— Tu fais de moi le plus heureux des hommes, s’écria-t il en tombant à ses pieds. Veux-tu être à moi ?

— Au nom du ciel, levez-vous ! Je suis à toi pour jamais. » La baronne entra. Sans être surprise, elle eut un moment d’hésitation.

« Si c’était un malheur, dit le major, c’est toi, ma sœur, qui en serais coupable : c’est le bonheur, et nous t’en sommes obligés pour la vie. »