Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/100

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la plus frivole, tout avait passé devant mes yeux et mon esprit ; et tout comme, encore enfant, j’avais osé imiter Térence, devenu un jeune garçon, et sous l’influence d’une impression bien plus vive, je ne manquai pas de reproduire aussi les formes françaises selon ma force et ma faiblesse. On donnait alors quelques pièces moitié mythologiques, moitié allégoriques, dans le goût de Piron ; elles tenaient de la parodie et plaisaient beaucoup. Ces représentations avaient pour moi un attrait particulier : c’étaient les petites ailes d’un joyeux Mercure, les carreaux de la foudre d’un Jupiter déguisé, une galante Danaé ou toute autre belle visitée des dieux, une bergère même ou une chasseresse, à laquelle ils daignaient descendre. Et comme des éléments de ce genre, empruntés aux Métamorphoses d’Ovide et au Panthéon mythicum de Pomey, bourdonnaient souvent dans ma cervelle, j’eus bientôt composé dans mon imagination une petite pièce de ce genre, dont je ne puis dire autre chose, sinon que la scène était à la campagne, mais qu’il n’y manquait ni de princesses, ni de princes, ni de dieux. Le Mercure surtout était si vivant dans mon esprit, que je jurerais encore l’avoir vu de mes yeux.

Je présentai à mon ami Derosnes une copie très-proprement faite de ma main ; il la reçut avec une dignité particulière et avec tout l’air d’un protecteur ; il parcourut rapidement le manuscrit, me signala quelques fautes de langue, trouva quelques tirades trop longues, et promit enfin de prendre son temps pour examiner et juger l’ouvrage de plus près. Comme je lui demandai modestement si peut-être la pièce avait chance d’être représentée, il m’assura que cela n’était point impossible. Au théâtre, la faveur jouait un grand rôle, et il me protégerait de bon cœur ; mais il fallait tenir la chose secrète ; car un jour il avait lui-même fait recevoir, par surprise, à la direction une pièce de son cru, et on l’aurait certainement jouée, si l’on n’avait pas découvert trop tôt qu’il en était l’auteur. Je lui promis toute la discrétion possible, et je voyais déjà en esprit le titre de ma pièce affiché en grandes lettres aux coins des rues et des places. Au reste, si léger que fût mon ami, il trouva fort à son gré cette occasion de trancher du maître. Il lut la pièce avec attention d’un bout à l’autre, et, après s’être mis avec moi à y changer