Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/242

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joyeux et de bonne humeur. Toutes ces personnes m’accueillirent de la manière la plus aimable, soit à cause de Schlosser, soit pour mon humeur franche, amicale et prévenante, et ils n’eurent pas de peine à me décider de prendre à l’avenir mes repas avec eux. Je leur demeurai donc fidèle après le départ de Schlosser, et désertai la table de Loudwig. Je me trouvais d’autant mieux dans cette société particulière, que la fille de la maison, jolie et gentille, me plaisait beaucoup, et que j’eus l’occasion d’échanger de tendres œillades, plaisir que je n’avais pas cherché et que le hasard ne m’avait pas offert depuis ma disgrâce avec Marguerite. Je passais gaiement et utilement avec mes amis les heures du dîner. Krebel m’avait pris en véritable amitié, et savait me houspiller et m’animer avec mesure ; Pfeil, au contraire, me témoignait une sérieuse affection, en cherchant à diriger et à fixer mon jugement sur beaucoup de choses.


Dans cette société, je reconnus, par les conversations, par les exemples et par mes propres réflexions, qu’avant tout, pour se dérober à cette époque insipide, diffuse et nulle, l’essentiel était la fermeté, la précision et la brièveté. Dans le style usité jusqu’alors, on ne pouvait distinguer le vulgaire du bon, parce que tout était confondu sous le même niveau. Déjà plusieurs écrivains avaient lâché d’échapper à la contagion générale, et ils y avaient plus ou moins réussi. Haller et Ramier étaient, par nature, enclins à la précision ; Leasing et Wieland y furent conduits par la réflexion : le premier devint peu à peu tout à fait épigrammatique dans ses poésies, serré dans Minna, laconique dans Émilia Galotti ; ce ne fut que plus tard qu’il revint à une naïveté sereine, qui lui sied si bien dans Nathan. Wieland, qui avait été parfois prolixe dans Agathon, don Sylvio et les Contes comiques, devient dans Musarion et Idris merveilleusement serré et précis, avec beaucoup de grâce. Klopstock, dans les premiers chants de la Messiade, n’est pas sans diffusion : dans les odes et autres petits poèmes, il su montre concis, comme aussi dans ses tragédies. Sa lutte avec les anciens, surtout avec Tacite, le force à se resserrer toujours davantage, tellement qu’il finit par devenir inintelligible et insupportable. Gerstenberg, beau talent, mais bizarre, se resserre également. On estime son mérite, mais, en somme, il fait peu de plaisir. Gleim, diffus ot négligé par nature, se montre à peine concis une fois dans ses Chansons de guerre. Ramier est proprement critique plus que poêle. Il commence par recueillir ce que les Allemands ont produit dans le genre lyrique, et trouve à peine un poëme qui le satisfasse entièrement ; il faut qu’il retranche, qu’il retouche, qu’il change, pour que les choses prennent une forme passable : par là il se fait presque autant d’ennemis qu’il y a de poëtes et d’amateurs, chacun ne se reconnaissant plus qu’à ses défauts, et le public s’intéressant plus à une œuvre indivi-