Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/492

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accueillies avec de grands applaudissements par tous les protestants et par beaucoup de catholiques.

Mais, si M. de La Roche se révoltait contre tout ce qu’on pourrait appeler sentiment, et s’il en écartait résolument loin de lui jusqu’à l’apparence, il ne cachait pas cependant sa tendresse de père pour sa fille aînée, qui, à vrai dire, était parfaitement aimable. Plutôt petite que grande, elle avait les formes les plus gracieuses, une tournure agréable et dégagée, les yeux les plus noirs, le teint le plus pur et le plus vermeil du monde. De son côté, elle chérissait son père et se pliait à ses sentiments. Livré aux affaires, il devait à ses fonctions la plus grande partie de son temps ; et, comme c’était sa femme, et non pas lui, qui attirait leurs hôtes, la société ne pouvait lui donner beaucoup de plaisir. Aux repas, il était gai, amusant, et il cherchait du moins à préserver sa table de l’assaisonnement sentimental.

Ceux qui connaissent les tendances et les sentiments de Mme de La Roche (et une longue vie et de nombreux écrits l’ont fait connaître honorablement à toute l’Allemagne) soupçonneront peut-être que ces contrastes ont pu donner lieu à une mésintelligence domestique, mais il n’en était rien. C’était une femme admirable, et je ne saurais laquelle lui comparer. Elle était d’une taille svelte et délicate, assez grande ; elle avait su conserver jusque dans l’arrière-saison une certaine élégance de tournure et de manières, qui offrait un agréable mélange du maintien de la noble dame et de la respectable bourgeoise. Elle avait gardé longtemps la même façon de s’habiller. Une jolie cornette allait fort bien à sa petite tête et à son fin visage, et son habillement brun ou gris donnait à sa personne un air de calme et de dignité. Elle parlait bien et savait toujours donner à ce qu’elle disait de l’intérêt par le sentiment. Sa conduite à l’égard de chacun était parfaitement égale, mais tout cela n’exprime pas encore ce qu’il y avait en elle de plus particulier. Le retracer est difficile. Elle semblait prendre intérêt à tout, et, dans le fond, rien n’agissait sur elle. Elle était douce envers chacun, et pouvait tout endurer sans souffrir ; au badinage de son mari, à la tendresse de ses amis, aux grâces de ses enfants, elle répondait de même.façon, et restait toujours elle-même, sans que, dans le monde, le bien et le mal, ou, dans la litté-