Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/146

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honorable marchand, ayant appris que des étrangers abordaient pendant cette nuit orageuse, nous obligea d’entrer dans sa maison, où, à la clarté des bougies, dans des chambres bien décorées, nous saluâmes avec joie, et même avec émotion, après les dangers que nous venions de courir dans les ténèbres, de belles gravures anglaises, suspendues aux murs, encadrées et mises sous verre proprement. Le mari et la femme, encore jeunes, rivalisèrent de prévenances- nous bûmes !e meilleur vin de la Moselle, grand réconfort pour mon compagnon de voyage, qui paraissait en avoir surtout besoin.

Pau ! avoua qu’il avait déjà quitté son habit et ses bottes pour nous sauver à la nage, si nous avions échoué : mais sans doute lui seul il aurait pu s’en tirer.

A peine étions-nous sèchés et restaurés, que je sentis mon impatience se réveiller, et J3 demandai de poursuivre en hâte notre chemin. Notre hôte obligeant ne voulait pas nous laisser partir ; il nous pressait de lui donner encore le lendemain ; il nous promettait, d’une hauteur voisine, une vue admirable sur une vaste et belle contrée, et d’autres choses encore qui auraient pu nous délasser et nous distraire : mais, tout comme on s’accoutume à une position stable et qu’on veut y demeurer, on peut s’accoutumer aussi à l’instabilité : je sentais en moi un besoin de rouler et de courir, auquel je ne pouvais résister.

Comme nous étions sur le point de nous ejnbarquer, le brave homme nous obligea de prendre deux matelas, afin que nous fussions du moins dans le bateau un peu commodément. La femme ne les donnait pas volontiers, et, certes, on ne pouvait lui en savoir mauvais gré, car l’étoffe était neuve et belle. C’est ainsi qu’il arrive souvent dans les logements, que tantôt l’un des époux, tantôt l’autre, témoigne plus ou moins de bienveillance à l’hôte qui leur est imposé.

Nous voyageâmes doucement jusqu’à Coblenz, et le seul souvenir distinct qui me reste, c’est qu’à la fin de notre course je vis le plus beau spectacle qui se soit peut-être jamais offert à mes yeux. Comme nous avancions vers le pont de la Moselle, cette noire et puissante construction dressait devant nous sa masse imposante ; par les ouvertures des arches, nous voyions les beaux édifices de la vallée, par-dessus la ligne du pont, la