Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

animé, les sœurs, bienveillantes et instruites, le fils, sérieux et de belle espérance, les filles, bien faites, instruites, sincères, aimables, faisant souvenir de leur mère, hélas ! déjà disparue, et des jours qu’on avait passés avec elle à Francfort vingt années auparavant. Heinse, qui faisait partie de la famille, avait la réplique pour les plaisanteries de tout genre ; il y avait des soirs où les rires ne cessaient pas.

Le petit nombre d’heures solitaires qui me restaient dans cette maison, la plus hospitalière du monde, je les consacrais en silence à un singulier travail. Pendant la campagne j’avais écrit, outre le journal, de poétiques ordres du jour, des commandements satiriques. Je voulus les revoir et les corriger ; mais je reconnus bientôt qu’avec une vanité à courte vue j’avais mal observé et jugé injustement bien des choses, et, comme on n’est jamais plus sévère que pour les erreurs dont on vient de se défaire, qu’il me parut dangereux d’exposer ces feuilles aux chances du hasard, je brûlai tout le cahier dans un beau feu de houille. Je le regrette maintenant, parce qu’il m’aurait fourni des lumières sur la marche des choses et sur l’enchaînement de mes pensées.

Dusseldorf n’était pas éloigné, et nous faisions de fréquentes visites à des amis qui appartenaient à la société de Pempelfort. On se réunissait d’ordinaire dans la galerie de tableaux. On laissait paraître un goût décidé pour l’école italienne ; on se montrait fort injuste envers l’école néerlandaise. A vrai dire, le sentiment élevé de la première était attrayant, entraînant, pour de nobles esprits. Un jour, nous étions restés longtemps dans la salle de Rubeus et des meilleurs Néerlandais : quand nous sortîmes, l’Assomption du Guide se trouva en face de nous, et quelqu’un s’écria avec enthousiame : « Ne semble-t-il pas qu’on sorte d’un cabaret pour entrer dans un salon de bonne compagnie ? » Je pouvais me résigner à voir" les maîtres qui m’avaient ravi naguère au delà des Alpes se montrer d’une manière triomphante et exciter une admiration passionnée ; cepen.lant je m’appliquai à l’étude des Néerlandais, dont les qualités et les avantages se montraient là au plus haut degré. J’y profitai pour toute ma vie.

Mais ce qui me surprit plus encore, c’est qu’un certain esprit