Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/162

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de liberté, une tendance à la démocratie se fût répandue dans les classes supérieures. On paraissait ne pas sentir tout ce qu’on aurait d’abord à perdre pour arriver à quelque avantage douteux. Je voyais honorés d’un culte enthousiaste les bustes de la Fayette et de Mirabeau, que Houdon avait rendus avec beaucoup de naturel et de fidélité : l’un, honoré pour ses vertus chevaleresques et civiles, l’autre, pour sa force d’esprit et la puissance de sa parole. C’est ainsi que flottaient déjà les sentiments de nos compatriotes ; quelques-uns avaient même été à Paris, avaient entendu parler les hommes marquants, les avaient vus agir, et, par malheur, selon la coutume allemande, avaient pris goût à l’imitation, et cela, dans un moment où l’inquiétude pour la rive gauche du Rhin se changeait en frayeur.

Le danger paraissait pressant : les émigrés remplissaient Dusseldorf ; les frères du Roi arrivèrent. On courait les voir. Je les rencontrai dans la galerie, et, à cette occasion, je me rappelai comme on les avait vus trempés de pluie au départ de Glorieux. M. de Grimm et Mme de Beuil parurent également. La ville étant comble, un pharmacien les avait hébergés. Le cabinet d’histoire naturelle servit de chambre à coucher ; les singes, les perroquets et d’autres bêtes guettaient le sommeil matinal de la très-aimable dame ; les coquillages, les coraux, gênaient l’appareil de sa toilette. Voilà comme le fléau des logements, que nous avions d’abord porté en France, était ramené chez nous.

Mme de Coudenhoven, femme remarquable par son esprit et sa beauté, l’ornement de la cour de Mavence, s’était aussi réfu-giée à Dusseldorf. M. et Mme de Dohm arrivèrent du côté de l’Allemagne, pour avoir des nouvelles plus précises de la situation.

Francfort était encore occupé par les Français ; le mouvement de la guerre s’était porté entre la Lahn et la chaîne du Taunus ; les nouvelles, chaque jour diverses, tantôt sûres, tantôt douteuses, animaient la conversation et provoquaient les saillies ; mais les intérêts et les opinions en lutte ne permettaient pas toujours la gaieté. Je ne pouvais trouver un côté sérieux dans une chose si problématique, absolument incertaine, sujette au hasard, et, avec mes plaisanteries paradoxales, j’étais parfois amusant, parfois importun. Je me souviens qu’un soir, à sou-