Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/167

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marquants qu’il pourrait, il faisait faire le portrait de toutes les personnes qui lui avaient paru quelque peu distinguées par leur position, leurs talents, leur caractère ou leurs actions. Par là des individualités furent mises en évidence ; on eut quelque valeur de plus, quand on fut admis dans une si noble société ; les qualités étaient mises en relief par les révélations du maître ; on croyait se mieux connaître les uns les autres, et il arriva, chose étrange, qu’on vit ressortir d’une manière décidée, avec leur valeur individuelle, bien des personnes jusqu’alors classées et confondues, comme insigniOantes, dans les rangs de la vie civile et politique.

Cette influence fut plus forte et plus grande qu’on ne peut l’imaginer. Chacun se sentait autorisé à concevoir de soi-même l’idée la plus favorable, comme d’un être complet et achevé ; et, confirmé absolument dans son individualité, chacun se croyait aussi autorisé à admettre ses particularités, ses folies et ses défauts dans l’ensemble de sa noble existence. Ce résultat put se développer d’autant plus aisément que, dans toute l’affaire, il n’était question que de la nature particulière, indivi duelle, sans égard à la raison universelle, qui doit cependant dominer toute nature. L’élément religieux, dans lequel vivait Lavater, ne suffisait pas pour tempérer un amour-propre toujours plus décidé ; il en résultait même chez les gens pieux un orgueil spirituel encore plus exalté que l’orgueil naturel.

Une conséquence surprenante, qui se fit jour après cette époque, fut l’estime des individus les uns pour les autres. On rendait un culte sinon à la personne, du moins à l’image des vieillards célèbres. Il suffisait qu’un jeune homme se fût rendu un peu remarquable, pour qu’on sentît le désir de faire sa connaissance personnelle, à défaut de quoi l’on se contentait de son portrait, et l’on trouvait à cet égard de quoi se satisfaire dans les silhouettes que des mains habiles et soigneuses exécutaient avec beaucoup de précision. Chacun y était exercé, et il ne passait aucun étranger qu’on ne l’inscrivît, le soir, contre la muraille. Les pantographes n’avaient point de repos.

On nous promettait sur cette voie la connaissance et l’amour de l’humanité ; la sympathie mutuelle s’était développée: on faisait moins de progrès dans la connaissance mutuelle. Ce-