Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/168

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pendant, pour l’un et l’autre objet, l’activité était très-grande, et l’on ferait un beau récit de ce qu’un jeune prince, admirablement doué, et son entourage bien intentionné, spirituel et vif, prodiguèrent auprès et au loin d’encouragements et de secours, s’il ne semblait pas louable de laisser dans une vénérable obscurité les commencements des situations qui marquent. Peut-être les cotylédons de cette plante avaient-ils un singulier aspect ; mais la moisson, dont la patrie et le monde étranger prirent joyeusement leur part, ne manquera pas d’éveiller dans les temps les plus reculés un reconnaissant souvenir.

Si le lecteur fixe dans sa pensée ce qu’on vient d’exposer et s’en pénètre, il ne trouvera ni invraisemblable ni extravagante l’aventure que je vais rapporter, et dont les deux acteurs ravivèrent gaien’.ent le souvenir pendant leur souper.

Dans le milieu de l’année 1777, parmi les lettres et les visites dont j’étais accablé, il m’arriva de Wernigerode une lettre, ou plutôt un cahier, signé Plessing, la chose la plus étrange peutêtre qui se fût produite à moi dans ce genre mélancolique. On y reconnaissait un jeune homme formé par les écoles et par l’université, à qui toute sa science ne procurait aucune paix intérieure. Une écriture exercée, facile à lire, un style souple et coulant, où l’on découvrait une vocation pour l’éloquence de la chaire, mais où tout était vif, honnête, et partait du cœur, en sorte qu’on ne pouvait lui refuser à son tour la sympathie. Cependant cette sympathie voulait-elle devenir vivante, cherchait-on à s’expliquer mieux l’étal de cet homme souffrant, on croyait remarquer, au lieu de la résignation, l’entêtement ; au lieu de la patience, l’obstination ; au lieu d’une ardente recherche, un repoussant dédain. Aussitôt, selon l’esprit du temps, je sentis le vif désir de voir de mes yeux ce jeune homme, mais je ne jugeai pas à propos de le faire venir. Je m’étais déjà churgé, dans des circonstances connues, d’un certain nombre de jeunes hommes, qui, au lieu de chercher avec moi, en suivant ma voie, une culture plus élevée et plus pure, restant dans leur sentier, ne se trouvaient pas mieux et gênaient mes progrès. Cependant je laissais en suspens l’affaire, et j’attendais que le temps me fournît quelque moyen.