Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/184

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pensée tous les avantages de la vie sociale au sein d’une cité, le bien-être de chaque individu dans sa demeure éclairée à l’intérieur, et les commodes établissements pour la réception des étrangers. Ma joie fut cependant troublée pour quelques moments, quand j’arrivai devant l’auberge bien connue, sur la magnifique place royale, aussi claire que le jour : le domestique, qui était allé m’annoncer, revint avec la nouvelle qu’il n’y avait point de place. Comme je ne voulais pas- me retirer, un garçon de l’hôtel s’avança vers ma portière et me fit des excuses en belles phrases françaises. Je lui réplique en bon allemand que je suis fort surpris qu’on refuse pendant la nuit l’hospitalité à un voyageur dans un si grand hôtel, dont je connais fort bien l’étendue. « Vous êtes Allemand, s’écrie-t-il. C’est aulre chose I » Et sur-le-champ il fait entrer la voiture dans la cour. Après m’avoir conduit dans une chambre convenable, il me dit qu’il était bien résolu à ne plus recevoir aucun émigré. Leur conduite était arrogante au plus haut point ; ils payaient chichement ; au milieu de leur détresse, et quand ils ne savaient de quel côté se tourner, ils se comportaient toujours comme s’ils prenaient possession d’un pays conquis.

Mon voyage s’acheva paisiblement ; je trouvai moins de presse sur le chemin d’Eisenach. J’arrivai à Weimar après minuit, et ce fut l’occasion d’une scène de famille, qui aurait pu égayer le roman le plus sombre.

Je trouvai déjà en grande partie habitable, réparée et meublée, la maison que le duc me destinait, et j’eus pourtant le plaisir de prendre part à l’achèvement. Les miens vinrent à moi sains et joyeux, et, quand on en vint aux récits, il parut un grand contraste entre la situation gaie et tranquille dans laquelle on s’était régalé des friandises envoyées de Verdun et les souffrances de tout genre que nous avions endurées, nous que l’on avait crus dans les joies du paradis. Notre intérieur paisible s’était égayé et enrichi : nous possédions Henri Meyer 1, en qualité de commensal, d’artiste, d’amateur et de collaborateur ; il venait prendre une part active à nos études et à nos travaux.

Le théâtre de Weimar subsistait depuis le mois de mai 1791 ;


1. Voyez tome IX, page 181 et passim.