ment de la privation et pouvaient par conséquent marcher de front. La première partie de Pandore arriva à A’ienne en temps utile, vers la fin de l’année. Le plan des Affinités électives était fort avancé, et bien des travaux préparatoires furent terminés. Un autre objet m’occupa dans les trois derniers mois de l’année, c’étaient les Nibelungen, dont il serait à propos de dire quelque chose.
Je connaissais depuis longtemps ce poëme par les travaux de Bodmer. Christophe-Henri Muller m’envoya son édition en feuilles. Le précieux ouvrage resta chez moi dans cet état. Occupé d’autres soins, je restai muet sur cet objet comme toute l’Allemagne. Seulement, je lus par hasard une page qui se trouvait tournée en dehors: c’était l’endroit où les femmes de la mer prophétisent à l’audacieux guerrier. J’en fus frappé sans que cela me conduisît à poursuivre cette lecture. Le fond m’inspira seulement une ballade, dont mon imagination s’occupa souvent, sans que je sois parvenu à l’achever.
Mais, comme il faut que tout arrive à sa maturité, le zèle patriotique lixa plus généralement l’attention sur ce vieux monument et en rendit l’abord plus facile. Les dames auxquelles j’avais encore le plaisir de faire des lectures le mercredi demandèrent des explications sur le poëme, et je n’hésitai pas à les satisfaire. Je pris en main l’original et je l’étudiai assez bien pour être en état d’en donner ligne par ligne une traduction intelligible, en ayant le texte sous les yeux. Le ton, la marche, étaient conservés, et aucun détail n’était perdu. Une pareille exposition ne réussit jamais mieux que lorsqu’on parle d’abondance, parce qu’il faut alors que les idées s’enchaînent et que l’esprit agisse avec une force vive, car c’est une sorte d’improvisation. Mais tout en songeante pénétrer ainsi dans l’ensemble de l’œuvre poétique, je ne négligeai pas de me préparer de manière à être en état de répondre pertinemment aux questions de détail. Je me composai un rôle des personnages et des caractères, de courtes notices sur les lieux et les faits historiques, les mœurs et les passions, l’harmonie et les incongruités, et j’ébauchai pour la première partie une carte hypothétique. Par là je gagnai beaucoup pour le moment, et plus encore pour la suite, parce que je fus même en état de juger,