Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/396

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apaisée, et qu’il vint à éprouver, d’une manière plus décidée et plus claire, le désir d’offrir au public un ouvrage achevé.

Et comme, chez lui, l’homme et le poète ne faisaient qu’un, quand nous parlerons du premier nous peindrons aussi le second. L’irritabilité et la mobilité, compagnes du talent oratoire et poétique, le dominaient à un haut degré ; mais une modération plutôt acquise que naturelle leur faisait équilibre. Notre ami était au plus haut point susceptible d’enthousiasme : dans sa jeunesse il s’y abandonna entièrement, et cela, d’une manière d’autant plus vive et soutenue, que ce beau temps, durant lequel le jeune homme sent en lui le mérite et la dignité de la perfection, qu’elle soit accessible ou inaccessible, se prolongea pour lui bien des années.

Ces pures et riantes compagnes de l’âge d’or, ce paradis de l’innocence, il l’habita plus longtemps que les autres hommes. Sous son toit natal, où un ecclésiastique d’un esprit cultivé exerçait son autorité paternelle ; dans l’antique Rloster-Bergen, entouré de tilleuls sur les rives de l’Elbe, où un pieux instituteur faisait son œuvre en patriarche ; à Tubingue, où régnaient encore les habitudes claustrales ; dans les simples demeures de la Suisse, entourées de ruisseaux murmurants, baignées par des lacs, envronnées de rochers : partout il retrouvait son Delphes, partout les bois»sacrés dans lesquels le jeune homme, déjà développé, s’abandonnait .encore à son ivresse. Là il fut puissamment attiré par les monuments qui nous restent de la mâle innocence des Grecs. Les grandes figures de Cyrus, Araspe et Panthée, et leurs pareilles, revivaient en lui ; il sentait l’esprit de Platon agir dans le sien ; il sentait qu’il en avait besoin, afin de reproduire pour lui et pour d’autres ces images lointaines, d’autant plus que son espérance était moins d’évoquer des ombres poétiques que de donner à des êtres réels une influence morale.

Mais, précisément parce qu’il eut le bonheur de séjourner longtemps dans ces hautes régions ; parce qu’il put tenir longtemps pour la plus complète réalité toutes ses pensée ?, ses sentiments, ses conceptions, ses rêves, ses illusions, il dut trouver plus amer le fruit qu’il fut enfin contraint de cueillir sur l’arbre de la science.