Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/423

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À cet égard, il est déterminé soit par son impulsion intérieure et sa propre conviction, soit par le peuple et le siècle pour lesquels il s’agit de travailler. Or, le génie n’atteint le véritable but qu’autant qu’il produit des ouvrages qui lui font honneur, qui charment et qui éclairent en même temps ses contemporains. En effet, comme il voudrait concentrer tout le champ plus vaste de sa lumière dans le foyer de sa nation, il sait mettre à profit tous les avantages intérieurs et extérieurs et satisfaire la foule, la combler même de plaisirs. Qu’on se représente Shakspeare et Caldéron ! Selon les principes de l’esthétique la plus élevée, ils sont irréprochables, et, si quelque habile éplucheur leur reprochait obstinément certains endroits défectueux, ils produiraient en souriant une image du peuple, du temps, pour lequel ils ont travaillé, et par là ils n’obtiendraient pas seulement l’indulgence, ils mériteraient de nouvelles couronnes, pour avoir su s’y accommoder et avec tant de bonheur.

La distinction des genres de poésie et de style est renfermée dans la nature même du style et de la poésie : mais c’est l’artiste lui seul qui doit et qui peut entreprendre cette séparation, et il l’entreprend, car il est le plus souvent assez heureux pour sentir ce qui appartient à tel ou tel domaine. Le goût est inné au génie, bien qu’il n’arrive pas dans chacun à la perfection.

Il serait donc sans doute à désirer que la nation eût du goût, afin que chacun n’eût pas besoin de se former, que bien que mal, isolément. Par malheur le goût des natures improductives est négatif, étroit, exclusif, et il ôte à la classe productive la force et la vie.

Il se trouve bien chez les Grecs et chez quelques Romains une très-judicieuse épuration et séparation des divers genres de poésie ; mais on ne peut nous adresser, nous autres gens du Nord, exclusivement à ces modèles. Nous pouvons nous glorifier d’autres ancêtres, et nous avons d’autres types devant les yeux. Si l’évolution romantique des siècles incultes n’avait mis en contact le prodigieux et l’absurde, aurions-nous un Hamlet, un Roi Léar, une Adoration de la Croix, un Prince constant [1] ? Et comme nous n’atteindrons jamais aux mérites antiques, nous

  1. Ces deux dernières pièces sont de Caldéron.