Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/438

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se retournera et attaquera l’aîné des fils. Alors celui-ci est ramené sur lui-même, l’événement n’a plus de spectateur qui s’y intéresse ; la dernière lueur d’espérance disparaît du groupe ; ce n’est pas une scène tragique, c’est une scène cruelle. Le père, qui repose maintenant dans sa grandeur et sa souffrance, devrait se tourner vers son fils et deviendrait une figure accessoire compatissante.

Dans ses douleurs et dans celles d’autrui, l’homme n’est susceptible que de trois sentiments, la crainte, la terreur et la compassion, la prévoyance inquiète d’un mal qui s’approche, le sentiment inattendu d’une douleur présente, et la sympathie pour une douleur durable ou passée : tous trois sont exprimés et éveillés par cet ouvrage, et cela avec les dégradations les plus convenables.

L’art plastique, qui travaille toujours pour le moment, saisira, dès qu’il choisit un sujet pathétique, le moment qui excite la terreur, tandis que la poésie s’attache à ceux qui excitent la peur et la pitié. Dans le groupe du Laocoon, la souffrance du père inspire la terreur au plus haut point ; en lui, la sculpture a accompli son œuvre souveraine ; mais, soit pour parcourir le cercle de tous les sentiments humains, soit pour adoucir l’impression violente de la terreur, elle éveille la pitié pour l’état du plus jeune fils et pour l’autre la peur, en même temps qu’elle laisse encore pour lui de l’espérance. Par là les artistes ont mis, au moyen de la variété, un certain équilibre dans leur travail ; ils ont adouci et élevé l’effet par les effets, et achevé un ensemble qui parle aux sens et au cœur.

Enfin, nous oserions affirmer que cet ouvrage épuise son sujet, et remplit heureusement toutes les conditions de l’art. Il nous apprend que, si le maître peut répandre sur des sujets simples et paisibles le sentiment qu’il a de la beauté, ce sentiment se montre toutefois dans son énergie et sa dignité la plus haute, quand il déploie sa force en traçant des caractères variés et qu’il sait modérer et contenir dans l’imitation artiste les éclats passionnés de la nature humaine. Les statues connues sous le nom de la famille de Niobé et le groupe du taureau Farnèse sont du petit nombre des scènes pathétiques qui nous soient restées de la sculpture antique.