Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/439

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D’ordinaire les modernes se sont mépris dans le choix des sujets de ce genre. Que Milon, pris par les deux mains dans un tronc d’arbre fendu, soit attaqué par un lion, l’art s’efforcera vainement d’en faire une œuvre qui inspire un intérêt pur. Une double souffrance, un effort inutile, un état désespéré, une perte certaine, ne peuvent exciter que l’horreur, s’ils ne laissent pas complétement froid.

Et, pour finir, encore un mot sur les rapports de ce sujet avec la poésie.

On est souverainement injuste envers Virgile et la poésie, quand on compare un seul instant le chef-d’œuvre le plus accompli de la statuaire avec la description épisodique de l’Enéide. Énée, le malheureux exilé, ayant à raconter que ses compatriotes et lui-même ont commis l’impardonnable folie de mejaer dans leurs murs le fameux cheval, le poète ne doit songer qu’au moyen d’excuser cette action. Tout est disposé pour cela, et l’hisloire de Laocoon n’est là qu’un argument oratoire, où l’on peut fort bien pardonner l’exagération, si elle est conforme au but. D’énormes serpents viennent de la mer ; leurs têtes sont couronnées de crêtes ; ils courent aux enfants du prêtre qui avait blessé le cheval, les enlacent, les déchirent, les arrosent de venin ; puis ils entourent, ils enveloppent la poitrine et le cou du père, accouru pour les défendre, et ils élèvent bien haut leurs têtes triomphantes, tandis que le malheureux, sous les replis qui l’enchaînent, demande en vain du secours par ses cris. Le peuple, saisi d’horreur, s’enfuit à ce spectacle ; personne ne se hasarde plus à se montrer patriote ; et l’auditeur, effrayé par ce récit étrange et dégoûtant, excuse aussi les Troyens d’avoir trainé le cheval dans la ville.

L’histoire de Laocoon n’est donc dans Virgile qu’un moyen pour atteindre un grand but, et c’est encore une grande question de savoir si cet événement en soi est un sujet poétique.