Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/460

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sive et la clarté de l’œil se rapportent tout particulièrement à l’intelligence, la clarté et l’intelligence étaient éminemment propres à notre artiste. Il ne se reposait pas sur l’impulsion secrète de son talent naturel, inestimable ; il ne se permettait pas un coup de pinceau arbitraire, accidentel : tout devait être médité deux fois et trois fois. De la proportion pure et constatée jusqu’aux monstres les plus étranges, formés d’un assemblage d’imaginations contradictoires, tout devait être à la fois naturel et rationnel.

C’est à sa vive et intelligente perception du monde extérieur que nous devons aussi le grand détail avec lequel il sait présenter par le langage les mouvements les plus impétueux d’événements compliqués, absolument comme s’ils pouvaient devenir des tableaux. Qu’on lise la description de la Bataille, de la Tempête, et l’on reconnaîtra qu’il est difficile de trouver des représentations plus exactes. On ne pourrait les peindre, il est vrai, mais elles indiquent au peintre ce qu’on pourrait exiger de lui.

Nous voyons donc par les écrits que notre Léonard a laissés combien son sentiment délicat et paisible était disposé à recevoir l’impression des phénomènes les plus divers et les plus animés. Ses leçons insistent d’abord sur la beauté générale des formes, puis en même temps sur l’observation attentive de toutes les déviations, jusqu’à la plus affreuse laideur. La transformation visible de l’enfance jusqu’à la vieillesse, par tous les degrés, mais surtout l’expression de la passion, depuis la joie jusqu’à la fureur, doivent être rendues d’une manière fugitive, comme elles se présentent dans la vie. Veut-on dans la suite faire usage d’une pareille représentation, il faut chercher dans la réalité une figure qui en approche, la placer dans la même position, et traiter l’idée générale qu’on a dans" l’esprit exactement d’après le vif. Mais, quelques avantages que puisse offrir cette méthode, on sent bien qu’elle ne peut être employée que par le plus grand talent. En efl’et, comme l’artiste part de l’individuel et s’élève à l’universel, il trouvera toujours devant lui une tâche difficile, surtout s’il faut rendre l’action simultanée de plusieurs figures.

Considérons la Cène, où Léonard a représenté treize person-