Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/49

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mettre en évidence la contradiction profonde de leur situation présente.

Obligé d’attendre pendant quelques heures en plein air des chevaux de poste, je pus faire encore une autre observation. J’étais assis devant la fenêlre de la maison, près de l’endroit où se trouvait la boîte dans laquelle on jette les lettres non affranchies. Je n’ai jamais vu une telle presse. Les lettres arrivaient par centaines. L’immense désir de rentrer dans la patrie avec son corps, son esprit et son âme, de s’y précipiter comme un torrent par la digue entr’ouverte, ne pouvait se produire d’une manière plus vive et plus pressante.

Pour passer le temps et m’amuser à découvrir ou à supposer les secrets, je me demandai ce que pouvait contenir cette foule de lettres. Je croyais deviner une amante, qui exprimait avec passion et douleur, de la manière la plus vive, le tourment de l’absence et de la séparation ; un ami dans la dernière détresse, qui demandait à son ami quelque argent ; des femmes exilées avec leurs enfants et leurs domestiques, et qui n’avaient plus au fond de leur bourse que quelques pièces d’argent ; de chauds partisans des princes, qui, ayant les meilleures espérances, se communiquaient à l’envi leur joie et leur courage ; d’autres, qui prévoyaient le mal de loin, et déploraient la perte imminente de leurs biens. Et je ne crois pas avoir mal deviné.

Je dus plusieurs éclaircissements au maître de poste, qui, pour calmer mon impatience, en attendant l’arrivée des chevaux, cherchait à lier conversation avec moi. 11 me montra diverses lettres timbrées de pays étrangers, qui devaient maintenant courir à la recherche des gens déjà passés ou encore attendus. La France était ainsi assiégée de malheureux sur toutes ses frontières, depuis Anvers jusqu’à Nice. De leur côté, les armées françaises étaient prêtes pour la défense et pour l’attaque. Il fit plusieurs observations inquiétantes ; l’état des choses lui paraissait du moins fort douteux. Comme je me montrais moins furieux que d’autres qui se précipitaient sur la France, il me prit bientôt pour un républicain, et montra plus de confiance. Il me fit considérer tout ce que les Prussiens avaient eu à souffrir des temps et des chemins par Coblentz et par Trêves, et me fit une affreuse description de l’état danslequel je retrouverais le