Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/493

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l’esprit national, il se sent, par l’effet d’un génie qui habite en lui, capable de sympathiser avec le passé comme avec le présent ; quand il trouve sa nation à un haut degré de civilisation, qui lui rend facile sa propre culture ; quand il voit devant lui beaucoup de matériaux rassemblés, des essais complets ou incomplet de ses devanciers, et quand il se rencontre tant de circonstances extérieures et intérieures qu’il n’a pas besoin de payer un coûteux apprentissage, qu’il peut, dans ses meilleures années, embrasser le plan d’un grand ouvrage, l’ordonner et l’exécuter dans une seule pensée.

Ces conditions, sous lesquelles seulement un écrivain classique, surtout un prosateur, est possible, qu’on les mette en regard des circonstances au milieu desquelles ont travaillé nos meilleurs auteurs de ce siècle, et, si l’on voit clair, si l’on pense justement, on admirera avec respect ce qu’ils ont fait de bien, et l’on regrettera décemment ce qui leur manque.

Un livre marquant n’est, comme un discours marquant, qu’une conséquence de la vie ; l’écrivain, non plus que l’homme d’action, ne crée pas les circonstances au milieu desquelles il est né, et au milieu desquelles il agit. Chaque homme, et même le plus grand génie, souffre de son siècle en quelques points, comme il est favorisé en d’autres, et c’est de la nature seulement qu’il faut attendre un excellent écrivain national.

Mais il ne faut pas non plus faire un reproche à la nation allemande, de ce que sa position géographique la resserre, et que sa situation politique la morcelle. Nous ne voulons pas souhaiter les bouleversements qui pourraient préparer en Allemagne des ouvrages classiques.

C’est donc le blâme le plus injuste que celui qui déplace le point de vue. Qu’on voie notre position comme elle était et comme elle est ; qu’on observe les rapports individuels dans lesquels se sont formés les écrivains allemands, et l’on trouvera aisément le point de vue sous lequel il faut les juger. Il n’existe en Allemagne aucun centre de culture sociale où les écrivains se rencontrent et, suivant une même manière, dans un même esprit, se puissent développer chacun dans sa spécialité. Naissant dispersés, élevés de la manière la plus diverse, abandonnés le plus souvent à eux-mêmes et aux impressions de sociétés