Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/61

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étant plus proche et lançant des fusées incendiaires, produisit les plus grands effets. Il nous fallut voir ces météores ignés, Chevelus, passer doucement dans l’air, et, bientôt après, s’embraser un quartier de la ville. Nos lunettes, dirigées sur ce point, nous permirent encore d’observer en détail ce désastre ; nous pouvions distinguer les hommes qui, montés sur les murs, faisaient les plus grands efforts pour arrêter l’incendie ; nous pouvions observer et distinguer les chevrons dégarnis et croulants. Tout cela se passait au milieu d’un groupe de personnes connues et inconnues, et provoquait des réflexions étranges, souvent contradictoires, et l’expression des sentiments les plus divers. J’étais entré dans une batterie en pleine activité, mais les détonations effroyables des obusiers faisaient trop souffrir mes oreilles pacifiques, et je dus bientôt m’éloigner. Je rencontrai le prince de Reuss XIII, qui m’avait toujours témoigné de la bienveillance. Nous nous promenâmes derrière des murs de vignes, qui nous protégeaient contre les boulets que.les assiégés nous envoyaient assez diligemment. Après diverses considérations politiques, qui nous égarèrent dans un labyrinthe de soucis et d’espérances, le prince me demanda de quoi je m’occupais alors, et il fut très-surpris de ce qu’au lieu de lui parler de romans et de tragédies, animé par le phénomène de réfraction qui m’avait frappé ce jour-là, je commençai à l’entretenir avec une grande vivacité de la doctrine des couleurs. Car il en était de ces développements de phénomènes naturels comme de mes poemes : je ne les faisais pas, c’étaient eux qui me faisaient. Une fois en verve, je poursuivis mon exposition, sans me laisser troubler le moins du monde par les boulets et les globes de feu. Le prince me demanda de lui expliquer comment j’étais entré dans ce domaine. L’incident du jour vint fort à propos à mon secours.

11 n’était pas besoin de beaucoup de paroles pour faire comprendre à un fel homme qu’un ami de la nature, qui vit presque toujours en plein air, dans son jardin, à la chasse, en voyage, en campagne, trouve assez d’occasions et de loisir pour l’observer en grand et se familiariser avec les phénomènes de tou genre. Or l’atmosphère, les vapeurs, la pluie, l’eau et la lerre nous offrent incessamment des teintes changeantes, et dans des