Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/62

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conditions et des circonstances si diverses, qu’on doit désirer d’apprendre à les connaître d’une manière plus précise, de les diviser, de les réduire à certaines catégories, de rechercher leurs affinités prochaines et éloignées. Par là on acquiert dans chaque direction de nouvelles vues, différentes de la doctrine des écoles et des traditions imprimées. Nos pères, doués d’une admirable faculté sensitive, avaient très-bien vu, mais ils n’avaient ni poursuivi ni complété leurs observations, et surtout ils n’avaient point réussi à coordonner et classer les phénomènes.

Voilà les sujets dont nous étions occupés en nous promenant sur le gazon humide. Excité par les questions et les objections, j’exposais mes idées, quand la fraîcheur du matin nous poussa vers un bivouac autrichien, dont le feu, entretenu toute la nuit, oflrait un énorme et salutaire brasier. Pénétré de mon sujet, dont je m’occupais depuis deux ans, et qui fermentait encore dans ma tête, comme une chose nouvelle et non mûrie, j’aurais pu dire à peine que le prince m’eût écouté, s’il n’avait fait incidemment quelques réflexions ingénieuses, et, pour conclure, résumé mon exposition en m’adressant des paroles encourageantes.

J’ai toujours observé que les hommes pratiques et les gens du monde, devant se faire exposer à l’improviste beaucoup de choses, et, par conséquent, se tenir toujours sur leurs gardes pour n’être pas trompés, il est beaucoup plus agréable de discourir avec eux d’objets scientifiques, parce qu’ils ont l’esprit libre et qu’ils écoutent sans autre mobile que le désir de s’instruire. Les savants, au contraire, n’écoutent rien d’ordinaire que ce qu’ils ont appris et enseigné, et ce dont ils sont convenus avec leurs pareils. A la place de l’objet, se pose un credo, auquel on peut aussi bien s’attacher obstinément qu’à tout autre.

La matinée était fraîche, mais sereine ; nous allions et venions, moitié gélés, moitié rôtis ; tout à coup nous vîmes quelque chose se mouvoir le long des murs de vignes. C’était un piquet de chasseurs, qui avait passé la nuit dans ce poste, et qui reprenait maintenant ses carabines et ses havre-sacs, pour descendre dans les faubourgs incendiés, et, de là, inquiéter les remparts. En marchant à une mort probable, ils chantaient des