Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/63

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chansons grivoises, ce qui était peut-être excusable dans cette situation.

A peine avaient-ils quitté la place, que je crus remarquer sur la muraille un phénomène géologique très-surprenant. Je voyais sur le petit mur blanc de pierre calcaire une bordure de pierre d’un vert clair, d’une couleur loute pareille au jaspe, et je me demandais avec surprise comment une pierre si remarquable avait pu se trouver en si grande abondance dans ces couches calcaires. Mais je fus bien désenchanté, lorsque, étant accouru pour observer cette merveille, je vis que c’était de la mie de pain moisi, que les chasseurs avaient trouvée immangeable, et qu’ils avaient gaiement coupée et étendue sur le mur en manière d’ornement.

Ce fut pour nous une nouvelle occasion de parler d’empoisonnement, sujet continuel de conversation depuis que nous étions entrés en pays ennemi, et cause de. terreurs paniques dans une armée en campagne ; car on juge suspects non-seulement tous les mets servis par un hôte, mais aussi le pain que l’on cuit soi-même, et dont la moisissure intérieure, promptement développée, doit s’attribuer à des causes toutes naturelles.

Le bombardement cessa le l" septembre à huit heures du matin, mais on continuait à échanger des boulets. Les assiégés avaient tourné de notre côté une pièce de vingt-quatre, qu’ils faisaient jouer de loin en loin par forme de divertissement.

Sur la hauteur découverte, à côté des vignes et en face de cette grosse pièce d’artillerie, on avait posté deux hussards à cheval, pour observer la ville et l’intervalle qui nous en séparait. Ils n’avaient essuyé aucune attaque pendant leur faction ; mais, le nombre des hommes ayant augmenté lorsqu’on vint les relever, et quelques spectateurs étant d’ailleurs accourus dans ce moment, cela forma un groupe de personnes assez considérable, et les assiégés chargèrent leur pièce. A ce moment, je tournais le dos à la troupe de hussards et de curieux, qui était peutêtre a cent pas, et je m’entretenais avec un ami, quand tout à coup le boulet passa derrière moi avec un sifflement terrible, si bien que je pirouettai sur mes talons, sans que je puisse dire si ce fut le bruit, l’ébranlement de l’air, enfin une impulsion