Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/68

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Voilà comme on vivait entre l’ordre et le désordre, tour à tour épargnant et dissipant, pillant et payant, et c’est peut-être ce qui rend la guerre si pernicieuse pour le caractère. On joue tantôt l’audacieux, le destructeur, tantôt le modéré, le bienfaisant ; on s’accoutume aux phrases, à réveiller, à soutenir l’espérance dans la situation la plus désespérée ; il en résulte une sorte d’hypocrisie d’un caractère à part, et qui se distingue tout particulièrement de celle des prêtres et des courtisans.

Mais je dois faire mention d’un homme remarquable, que je n’ai vu pourtant qu’à distance, derrière les grilles d’une prison : c’était le maître de poste de Sainte-Menehould, qui s’était maladroitement laissé prendre par les Prussiens. Une craignait nullement les regards des curieux, et, incertain de son sort, il paraissait tout à fait tranquille. Les émigrés soutenaient qu’il avait mérité mille morts, et ils excitaient l’autorité supérieure, mais il faut dire à sa gloire que, dans cette occasion comme en d’autres, elle se conduisit avec une bienséante et calme dignité, avec une noble égalité d’âme.

4 septembre 1792.

Le mouvement d’une nombreuse société animait tout le jour nos tentes ; on entendait beaucoup de récits, de propos et de jugements. La situation devenait plus claire qu’auparavant. On était unanime à juger qu’il fallait marcher sur Paris aussi vite que possible. Nous avions laissé intactes sur nos flancs les places de Montmédy et de Sedan, et l’on semblait peu craindre l’armée qui se trouvait de ce côté.

La Fayette, qui avait la confiance de l’armée, avait été contraint de se séparer de la Révolution ; il s’était vu forcé de fuir chez les ennemis et traité en ennemi. Dumouriez, qui d’ailleurs avait montré comme ministre qu’il entendait l’art de la guerre, ne s’était illustré par aucune campagne, et, porté des bureaux du ministère au commandement de l’armée, il semblait ne faire paraître que cette inconséquence et l’embarras du moment. D’un autre côté, on apprenait les tristes événements du mois d’août : au mépris du manifeste de Brunswick, le Roi avait été mis en prison, déposé et traité comme un cri-