Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/75

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dessus je lui exposai l’affaire, ce qui était assez inutile, car il voyait tout de ses yeux, et il eut la bonté de tourner bride aussitôt en m’adressant quelques paroles obligeantes. Les chasseurs disparurent et cessèrent leur feu. L’officier me remercia chaleureusement. On voit parlà qu’un médiateur est partout bienvenu.

Peu à peu la situation devenait plus claire. La position de Dumouriez à Grandpré était très-forte et très-favorable. On savait bien que son aile droite était inattaquable ; devant sa gauche se trouvaient deux passages importants, la Croix-auxBois et le Chêne-Populeux ; l’un et l’autre étaient soigneusement coupés et regardés comme impraticables, mais le dernier était confié à un officier négligent ou inférieur à une pareille tâche : les Autrichiens l’assaillirent. A la première attaque, le jeune prince de Ligne fut tué ; à la seconde, on força le poste, et le grand plan de Dumouriez était renversé ; il dut quitter sa position, et remonter le cours de l’Aisne ; les hussards prussiens purent franchir le passage et pousser au delà de l’Argonne. Ils répandirent une telle panique dans l’armée française, que dix mille hommes prirent la fuite devant cinq cents, et qu’on eut beaucoup de peine à les arrêter et les rallier. C’est là que le régiment Chamborand se signala. Il retarda les progrès des nôtres, qui, envoyés proprement pour faire une reconnaissance, revinrent victorieux et pleins d’allégresse, et ne cachèrent pas qu’ils s’étaient emparés de quelques chariots. Ils se partagèrent ce qui était d’une utilité immédiate, l’argent et les habits ; moi, comme membre de la chancellerie, j’eus en partage les papiers, parmi lesquels je trouvai quelques anciens ordres du jour de La Fayette, et plusieurs listes d’une fort belle écriture. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut un Moniteur assez récent. Cette impression, ce format, qui nous avaient visités sans interruption pendant plusieurs années et qu’on n’avait pas vus depuis bien des semaines, me saluèrent d’une fiçon un peu cavalière ; en effet, un article laconique du 3 septembre me criait d’un ton menaçant : « Les Prussiens pourront venir à Paris, mais ils n’en sortiront pas. » On croyait donc à Paris notre arrivée possible : quant à nçtre retour, c’était aux puissances supérieures d’y veiller.