Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/76

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L’affreuse position dans laquelle on se trouvait entre la terre et le ciel fut un peu adoucie, quand on vit l’armée s’avancer, et les divisions de l’avant-garde se mettre en mouvement l’une après l’autre. Notre tour vint enfin ; et, franchissant des collines, longeant des vallées, côtoyant des vignes, qui nous offraient un doux rafraîchissement, nous arrivâmes par un temps plus serein dans un pays plus ouvert, et nous vîmes dans une gracieuse vallée de l’Aire le château de Grandpré, très-bien situé sur une éminence, à l’endroit même ou l’Aire court à l’occident entre des collines pour se réunir de l’autre côté de la montagne avec l’Aisne, dont les eaux, coulant toujours à l’ouest, puis mêlées à celles de l’Oise, se versent enfin dans la Seine. Il était donc manifeste que les montagnes qui nous séparaient de la Meuse, sans être d’une hauteur considérable, avaient une influence décisive sur la marche des eaux, et suffisaient pour nous jeter dans une autre région fluviale.

Pendant cette marche, je fus amené par le hasard dans la suite du.roi, puis dans celle du duc de Brunswick ; je m’entretins avec le prince de Reuss et d’autres militaires diplomates de ma connaissance-. Ces groupes de cavaliers peuplaient agréablement le paysage. On aurait souhaité un Van der Meulen pour immortaliser cette marche. Tout le monde était joyeux, animé, confiant, héroïque. Quelques villages brûlaient, il est vrai, devant nous, mais la fumée ne fait pas mal non plus dans un tableau de guerre. Les habitants avaient, disait-on, tiré des fenêtres sur l’ayant-garde, qui, usant du droit de la guerre, s’était vengée elle-même sur-le-champ. La chose fut blâmée, mais on n’y pouvait rien changer. En revanche, nous prîmes sous notre protection les vignes, dont les propriétaires ne durent pas se promettre une riche récolte. C’est ainsi que nous avancions, agissant tour à tour en amis et en ennemis.

Après avoir laissé Grandpré derrière nous, nous arrivâmes à l’Aisne et, l’ayant traversée, nous campâmes près de Vaux-lesMuron. Nous étions dans cette Champagne de fâcheux renom, mais le pays n’avait pas si mauvaise apparence. Sur l’autre bord de la rivière, qui regardait le soleil, s’étalaient des vignes bien tenues ; dans les villages et les granges qu’on visitait, on trouvait assez de nourriture pour les hommes et les chevaux ; par