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Page:Goethe - Œuvres d'Histoire naturelle, trad. Porchat (1837).djvu/169

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ANATOMIE COMPARÉE.

à peu pas la différence de leurs vues, ils sont entraînés dans des voies opposées. Cuvier ne se lasse pas distinguer, de décrite exactement ce qu’il a sous les yeux, et d’étendre ainsi son empire sur une immense surface ; Geoffroy-St-Hilaire étudie dans le silence les analogies des êtres et leurs mystérieuses affinités : le premier part d’existences isolées pour arriver à un tout qu’il présuppose, sans penser que jamais il puisse en avoir l’intuition  ; le second porte en son for intérieur l’image de ce tout, et vit dans la persuasion qu’on en pourra peu à peu déduire les êtres isolés. Cuvier adopte avec reconnaissance toutes les découvertes de Geoffroy dans le champ de l’observation, et celui-ci est loin de rejeter les observations isolées, mais décisives de son adversaire  ; ni l’un ni l’autre n’a la conscience de cette influence réciproque. Cuvier séparant, distinguant sans cesse, s’appuyant toujours sur l’observation comme point de départ, ne croit pas à possibilité d’un pressentiment, d’une prévision de la partie dans le tout. Vouloir connaître et distinguer ce que l’on ne peut ni voir avec les yeux du corps, ni toucher avec les mains, lui paraît une prétention exorbitante. Geoffroy, appuyé sur des principes fixes, s’abandonne à ses hautes inspirations, et ne se soumet pas à l’autorité de cette méthode.

Personne ne nous en voudra de répéter, après cet exposé préparatoire, ce que nous disions plus haut, c’est qu’il s’agit ici de deux forces opposées de l’esprit humain, presque toujours isolées et éparpillées au point qu’on les rencontre aussi rarement réunies chez les savants que chez les autres hommes. Leur hétérogénéité rend un rapprochement difficile, et c’est à regret qu’elles se prêtent un mutuel secours. Une longue expérience personnelle de l’histoire de la science me font craindre que la nature humaine ne puisse jamais