ordinairement porté à juger leur connexion plus intime qu’elle ne l’est en effet. Ceci est conforme à la nature de l’homme ; l’histoire de l’esprit humain en fournit des exemples par milliers, et je sais par expérience que souvent j’ai commis des fautes de ce genre.
Ce défaut a beaucoup de rapport avec un autre, dont il est le produit. L’homme se complaît dans la représentation d’une chose plus que dans la chose elle-même ; ou, pour parler plus exactement, l’homme ne se complaît dans une chose, qu’en tant qu’il se la représente, qu’elle cadre avec sa manière de voir ; mais il a beau élever son idée au-dessus de celles du vulgaire, il a beau l’épurer, elle n’est jamais qu’un essai infructueux pour établir entre plusieurs objets des relations saisissables, il est vrai, mais qui, à proprement parler, n’existent pas entre eux. De là cette tendance aux hypothèses, aux théories, aux terminologies, aux systèmes, que nous ne saurions blâmer, puisqu’elle est une conséquence nécessaire de notre organisation.
S’il est vrai que, d’une part, une observation, une expérience, doivent toujours être considérées comme isolées, et que, d’autre part, l’esprit humain tend à rapprocher avec une force irrésistible tous les faits extérieurs qui arrivent à sa connaissance, on comprendra aisément le danger qu’il peut y avoir à lier une expérience isolée avec une idée arrêtée, et à vouloir établir par des expériences isolées un rapport qui, loin d’être purement matériel, est le produit anticipé de la force créatrice de l’intelligence. Des travaux de cette nature engendrent le plus souvent des théories et des systèmes qui font le plus grand honneur à la sagacité de leurs auteurs. Adoptées avec enthousiasme, leur règne se prolonge souvent trop long-temps, et elles arrêtent ou entravent les progrès de l’esprit humain, qu’elles eussent favorisés sous d’autres rapports.