Page:Goethe - Le Renard, 1861, trad. Grenier.djvu/106

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ne nous connaît ; nous y vivrons suivant la coutume du pays ! Vive Dieu ! on fait là bonne chère et tout s’y trouve en abondance : des poulets, des oies, des lièvres, des lapins, du sucre, des dattes, des figues, des raisins de caisse et des oiseaux de toutes sortes ; et l’on y fait le pain avec du beurre et des œufs. L’eau est pure et limpide, l’air est doux et serein. Il y a des poissons en quantité, les uns s’appellent gallines, et les autres pullus, gallus et anas ; qui sait tous leurs noms ! Voilà les poissons que j’aime, je n’ai pas besoin de plonger profondément sous l’eau ; je m’en suis toujours nourri lorsque je vivais en ermite. Oui, ma petite femme, si nous voulons enfin goûter la paix, il nous faut aller là ; vous viendrez avec moi. Entendez-moi bien ! le roi m’a laissé échapper cette fois parce que je lui ai fait un conte sur des choses fantastiques. J’ai promis de lui livrer le trésor du roi Eimery ; je lui ai décrit la place où il doit se trouver près de Krekelborn. Quand ils viendront pour le chercher, ils ne trouveront pas un fétu ; ils fouilleront en vain, et, quand le roi se verra ainsi trompé, il se mettra dans une colère épouvantable. Car vous pouvez vous faire une idée de tous les mensonges que j’ai dû inventer avant d’échapper. Il est vrai qu’il s’agissait de la potence ; jamais je n’ai été dans une plus grande détresse, dans une angoisse plus affreuse. Non, je ne souhaite pas de me revoir en pareil danger. Bref, il m’arrivera ce qu’il voudra, jamais je ne me laisserai persuader de retourner à la cour pour me mettre encore au pouvoir du roi ; il faudrait vraiment la plus grande habileté du monde pour retirer seulement mon petit doigt de sa gueule. »

Dame Ermeline dit avec tristesse : « Qu’allons-nous devenir ? Nous serons pauvres et étrangers dans tout autre pays ; ici, rien ne nous manque. Vous êtes toujours le seigneur de vos paysans. Est-il donc nécessaire de chercher aventure ailleurs ? Vraiment, quitter le certain pour l’incertain n’est guère prudent ni louable. Ne sommes-nous donc pas en