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Page:Goethe - Le Renard, 1861, trad. Grenier.djvu/59

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n’ai pas même épargné le roi, et j’ai eu l’audace de lui jouer plus d’un tour, à lui et à la reine elle-même; elle le découvrira plus tard. Je dois confesser, en outre, que j’ai déshonoré bien volontairement Isengrin le loup; je n’aurais pas le temps de tout dire. C’est ainsi que je l’ai toujours nommé mon oncle, en badinant, et nous ne sommes nullement parents. Une fois, il y a de cela bientôt six ans, il vint me voir au couvent d’Elkmar, où je demeurais. Il venait me demander ma protection, car il songeait à se faire moine. Il pensait que ce serait un bon métier pour lui. Il se mit à tirer la cloche; le carillon le ravit; en conséquence, je lui liai les pattes de devant avec la corde de la cloche; il se laissa faire et, debout, se mit à tirer la corde avec bonheur: on eût dit un apprenti sonneur. Mais cet art devait peu lui réussir; il continua ainsi à sonner à tort et à travers. Les gens se précipitèrent de tous côtés vers le couvent, croyant qu’un grand malheur était arrivé; ils trouvèrent en arrivant le loup dans sa posture, et, avant qu’il eût pu leur expliquer qu’il voulait embrasser l’état ecclésiastique, il fut presque assommé par la foule. Cependant l’imbécile n’abandonna pas son projet. Il me pria de lui faire une tonsure convenable; et je lui brûlai si bien les poils sur la tête, que toute la peau ne fut plus qu’une croûte. C’est ainsi que maintes fois je l’ai exposé aux coups et aux bourrades avec force infamies.» Je lui ai appris à prendre des poissons; mais la pèche lui a mal réussi. Une fois, nous allâmes ensemble dans le pays de Liége; nous nous glissâmes dans la maison d’un prêtre, le plus riche de tout le pays. Le révérend père avait un magasin de jambons délicieux, entremêlés de longues bandes de lard appétissant; de plus, un quartier de viande salée tout fraîchement se trouvait dans le garde-manger. Isengrin parvint à pratiquer dans la muraille une ouverture assez large pour le laisser passer. Je le poussai à tenter l’aventure, et sa convoitise le poussa encore plus. Mais il ne sut pas se modérer dans le bonheur. Il se remplit démesurément