Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/126

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— Je ne dis pas qu’il ait vendu quelque chose ; je dis seulement qu’il a passé dans l’autre parti.

— Tu mens, juif du diable ; une telle chose ne s’est jamais vue sur la terre chrétienne. Tu mens, chien.

— Que l’herbe croisse sur le seuil de ma maison, si je mens. Que chacun crache sur le tombeau de mon père, de ma mère, de mon beau-père, de mon grand-père et du père de ma mère, si je mens. Si le seigneur le désire, je vais lui dire pourquoi il a passé.

— Pourquoi ?

— Le vaïvode a une fille qui est si belle, mon saint Dieu, si belle…

Ici le juif essaya d’exprimer par ses gestes la beauté de cette fille, en écartant les mains, en clignant des yeux, et en relevant le coin de la bouche comme s’il goûtait quelque chose de doux.

— Eh bien, quoi ? Après…

— C’est pour elle qu’il a passé de l’autre côté. Quand un homme devient amoureux, il est comme une semelle qu’on met tremper dans l’eau pour la plier ensuite comme on veut.

Boulba se mit à réfléchir profondément. Il se rappela que l’influence d’une faible femme était grande ; qu’elle avait déjà perdu bien des hommes forts, et que la nature d’Andry était fragile par ce côté. Il se tenait immobile, comme planté à sa place.