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xv
Préliminaire.

ce concert unanime d’applaudissemens si bien mérités, fut plus d’une fois interrompu par les clameurs de l’Envie ; que les douces jouissances du génie furent souvent empoisonnées par l’amertume des censures les plus injustes. On l’a dit cent fois, et il faut bien le répéter encore : il n’y a que la plate médiocrité qui n’aie rien à redouter de l’Envie, et malheur à l’ouvrage qui ne mérite pas même, qu’on dise du mal de lui ! Heureux d’échapper à la persécution, le génie doit s’attendre, au moins, à lutter à chaque pas contre un nouvel obstacle ; à voir chacun de ses succès devenir pour lui l’époque d’un nouveau chagrin ; à passer enfin une vie douloureuse dans la pénible alternative de compromettre son repos, en continuant de travailler, ou de sacrifier les charmes du travail à l’intérêt de sa tranquillité. Tel est son destin ; mais qu’il ne s’en effraie pas, qu’il n’en poursuive pas sa carrière avec moins de constance ; et si le découragement s’emparait un moment de son cœur, qu’il parcoure l’immensité des siècles, qu’il interroge l’histoire des Grands Hommes de tous les lieux et de tous les temps, et rougisse de se trouver malheureux ! Peu d’ames, à la vérité, ont reçu de la nature cette sublimité énergique qui les élève au-dessus de tous les obstacles, fait évanouir devant elles toutes les petites considérations, et les rend capables de tous les sacrifices.

Le plus douloureux de tous, celui qui coûte à l’homme de Lettres les efforts les plus pénibles, c’est celui de son indépendance, celui de cette fierté noble, que les circonstances peuvent captiver, mais qu’elles