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Discours

n’abattent jamais entièrement, et qui en impose encore sous le poids même de ses chaînes. Goldoni fut obligé de se l’imposer plus d’une fois ce sacrifice terrible ! Mais il en trouvait le prix (si quelque chose en peut dédommager !) dans l’inexprimable plaisir de se livrer au plus cher de ses goûts. Il n’en est cependant pas moins affligeant de voir l’auteur de tant de pièces estimables, et l’un des plus beaux génies de l’Europe, aux gages d’une troupe de comédiens, victime de leurs caprices ou dupe de leurs procédés, et menant à leur suite une vie errante et indigne de lui et de ses talens. Mais, riche momentanément du produit de ses ouvrages, il ne savait, ne pouvait pas même attacher à l’argent une importance réelle ; et ce n’était en lui ni prodigalité folle, ni mépris ridiculement affecté pour un métal aussi dangereux qu’utile : c’était une suite de la disposition de son esprit, qui tendait naturellement au grand et au sublime. Il savait que, subjuguée une fois par l’idée d’accumuler, l’ame se rétrécit, et se ferme insensiblement aux grandes choses. Il ne poussait cependant pas cette vertueuse indifférence au-delà des bornes que la raison lui prescrit ; et, persuadé que l’or lui-même peut s’enoblir, les bruits de son travail lui paraissaient vraiment précieux, quand ils devenaient, entre ses mains, l’instrument de la bienfaisance. Il était généreux comme il faudrait qu’on le fût, sans penser l’être, et sans avoir fait d’effort pour le devenir.

Déjà la réputation de l’illustre Italien avait franchi depuis long-temps les limites de son pays ; l’Allemagne,