Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/114

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« Mesdames, le porteur vous fera connaître de qui vous vient ce billet : c’est au moins un ami de l’innocence qui veut la préserver de la séduction. J’apprends, à n’en pas douter, que vous avez l’intention de mener à Londres deux jeunes ladies de ma connaissance, comme demoiselles de compagnie. Résolu à ne laisser ni décevoir la simplicité, ni souiller la vertu, je dois vous déclarer qu’à mes yeux, l’imprudence d’une pareille démarche aura les plus dangereuses conséquences. Il n’a jamais été dans mes habitudes d’être sévère pour le désordre ou la débauche, et je n’aurais pas recours aujourd’hui à ce moyen de m’expliquer et de gourmander la folie, si elle n’allait tout droit au crime. Acceptez donc le conseil d’un ami, et envisagez sérieusement à quoi vous vous exposez en introduisant la honte et le vice dans un asile où la paix et l’innocence ont habité jusqu’ici. »

Tous nos doutes étaient levés. Cette lettre pouvait évidemment recevoir deux applications possibles : ses reproches pouvaient se rapporter à nous aussi bien qu’aux personnes à qui elle était écrite. Mais la pensée la moins charitable s’était offerte à nous la première ; nous n’allâmes pas plus loin. Ma femme n’eut pas la patience de m’écouter jusqu’au bout : sa fureur éclata sans ménagement contre l’auteur. Olivia fut aussi sévère ; Sophie parut atterrée de tant de noirceur. Pour mon compte, c’était un des plus honteux exemples que j’eusse jamais vus, d’une ingratitude que rien n’avait provoquée ; je ne pouvais me l’expliquer autrement que par le désir de retenir ma fille à la campagne pour se ménager de plus fréquentes occasions de la voir.

Nous étions donc tous là ruminant des projets de vengeance, quand notre autre marmot accourut pour nous annoncer l’arrivée de M. Burchell : il était à l’autre bout du champ. On peut plus aisément concevoir que décrire les sensations qui se croisent dans l’âme sous l’impression à la fois de la douleur d’une récente injure et de la joie d’une prochaine vengeance. Notre seule pensée était de lui reprocher son