Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/189

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que bassesse ; n’attendez plus d’amitié de moi. Allez, jouissez de tout ce que vous a prodigué la fortune, beauté, richesses, santé, plaisirs… Allez, et laissez-moi avec la misère, le déshonneur, la maladie, le chagrin. Toutefois, humilié comme je le suis, je saurai conserver le sentiment de ma dignité ; je vous pardonne, mais je vous mépriserai toujours.

— S’il en est ainsi, songez-y bien, vous allez sentir les effets d’une pareille insolence ; avant peu nous verrons qui de vous ou de moi mérite le plus de mépris ! » À ces mots, il sortit brusquement.

Ma femme et Moïse, qui avaient assisté à cette conversation, parurent glacés d’effroi. Mes filles, voyant le Squire parti, revinrent pour savoir le résultat de notre entretien, et, quand elles le connurent, leur frayeur ne fut pas moins vive. Pour moi, à quelque excès que se portât sa malveillance, je la méprisais. J’étais déjà cruellement frappé ; Je me préparai à repousser de nouveaux coups, semblable à ces machines de guerre qui, bien que démontées, présentent toujours une pointe à l’ennemi.

Nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que ses menaces n’étaient pas vaines. Le lendemain matin, son intendant vint me demander mon fermage annuel. Les accidents dont j’ai parlé tout à l’heure me mettaient hors d’état de le payer. Mes bestiaux, saisis le soir même, furent le lendemain évalués et vendus moitié de leur valeur. Ma femme et mes enfants me pressaient de passer par toute espèce de conditions, plutôt que de courir à une ruine certaine ; ils allèrent même jusqu’à me supplier de recevoir encore les visites du Squire, et ils déployèrent toute leur petite éloquence pour me peindre les malheurs dont j’étais menacé, l’horreur de la prison dans une saison rigoureuse comme celle où nous nous trouvions, le danger que pouvaient avoir, pour ma santé, les suites de ma récente blessure dans l’incendie. Je fus inflexible.