Page:Goncourt, L'Italie d'hier, 1894.djvu/146

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tournant des souliers de satin blanc, avec, en haut, les milliers de feux des pendants d’oreilles, des rivières, des aigrettes — l’orchestre, comme d’un souffle, soulevant légèrement les valseuses, pliant les tailles, arrondissant les bras, déliant les corps, remuant les cous, tels que de frêles tiges de fleurs. En ce tournoiement, où, passe et repasse trémolante, la chair des corsages de la femme, toute vibrante de musique, et laiteusement irradiée et comme opalisée par la lueur douce des bougies, où passent et repassent ces épaules, ainsi que deux ailes blanchement roses repliées, montrant leur marbre douillet, et ces seins attaquant le regard et s’y dérobant, à l’image d’une vague montante qui lèche le sable et se sauve ; en ce tournoiement, les yeux vont à la comtesse Cavoni, splendidement blonde, splendidement blanche, splendidement rose, une princesse de Rubens délicatifiée, dématérialisée ; les yeux vont à un étrange type, à une femme blanche, dont la blancheur singulière semble une blancheur, vue sous un lit d’eau de mer, une femme couronnée par un énorme diadème de cheveux, aile de corbeau, divisés en deux bandeaux bouffants, éclairés par des grappes de diamants, avec des sourcils remontés sataniquement sur des yeux aux prunelles dilatées de velours noir, et avec une grande bouche entr’ouverte : une créature évoquant à la fois l’idée de Circé et d’une goule.