Page:Goncourt - Histoire de Marie-Antoinette, 1879.djvu/61

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capacités, toutes les lumières, toutes les intelligences du clergé avaient été gagnées à ce scepticisme, à ces affiches de dédain et de mépris pour le grand et le respecté, à cette irrévérence et à cette ironie qui est le cœur du dix-huitième siècle, de Dubois à Figaro. Au-dessus du malheur des mœurs particulières, il s’était fait comme une température morale de la nation plus malheureuse encore, une atmosphère de persiflage, de paradoxe, de légèreté, dont l’ordre du clergé n’avait pas été le dernier à subir l’influence. Railler la raison était devenu la raison de la France, railler l’État était devenu le signe des hommes d’État, railler la règle devint le ton des hommes d’Église. Poussé par ses habitudes de salon au premier feu et à la place d’honneur de la causerie, brillant et écouté, abandonnant la chaire et l’éloquence pour les prédications du coin du feu, le jeune clergé, les coudes arrondis sur les bras d’un fauteuil de bois doré, enseignait aux femmes, penchées vers le sermon, à ne point s’incliner devant les grands mots, à ne prendre au sérieux que le moins possible de choses, à faire un débarras des préjugés, à se venger de la vie en riant, à tout punir par le ridicule, à tout supporter par l’esprit. L’esprit ! voilà ce que le jeune clergé entretenait et ravissait, chez les femmes, avec l’onction d’hommes d’Église et le sel d’hommes d’esprit. C’était à l’esprit des femmes que le clergé frappait, les engageant à se dérober à leurs charges et à fuir leurs ennuis, diminuant en un mot la théorie du devoir. Ce n’était point la séduction mignarde des abbés de Pou-