Page:Goncourt - Histoire de Marie-Antoinette, 1879.djvu/67

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mieux comme une pensionnaire punie, dont les grandes vengeances — de petites malices — veulent une confidente et une complice. La première amitié de la Dauphine fut une camaraderie, et la camarade, la plus jeune tête de la cour : la duchesse de Picquigny.

Madame de Picquigny était la digne belle-fille de madame la duchesse de Chaulnes. Elle avait de sa belle-mère l’abondance d’idées, le flux de saillies, les fusées, les éclairs et les feux de paille. Elle était tout esprit comme elle, et son esprit était cet esprit à la diable, « le char du Soleil abandonné à Phaéton. » Elle prenait, en se jouant, son parti de toutes choses, et de son mariage, et de son mari, ce fou d’histoire naturelle qui, disait-elle, avait voulu la disséquer pour l’anatomiser. Quelles distractions pour la Dauphine dans cette compagnie, dans cette causerie, qui ne respectait rien, pas même l’insolence de la fortune, pas même la couronne de la du Barry ! Et le dangereux maître, cette madame de Picquigny, qui, derrière son éventail, enhardit, émancipe la langue de la Dauphine[1] ! C’est d’elle que Marie-Antoinette apprend à rendre les railleries pour les injures, et la moquerie pour la calom-

  1. La Dauphine était née moqueuse. Mercy-Argenteau dit dans une lettre : « S. A. R. par un pur effet de gaieté et sans mauvaise intention se livre quelquefois à plaisanter sur le chapitre de ceux auxquels elle aperçoit des ridicules ; cela a déjà été remarqué ici, et y deviendrait d’une conséquence d’autant plus dangereuse que cette princesse sait donner à ses observations tout l’esprit et le sel propres à les rendre piquantes.