Page:Goncourt - Histoire de Marie-Antoinette, 1879.djvu/74

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maman, les transports de joie, d’affection qu’on nous a témoignés dans ce moment. Avant de nous retirer, nous avons salué avec la main le peuple, ce qui a fait grand plaisir. Qu’on est heureux dans notre état de gagner l’amitié d’un peuple à si bon marché ! Il n’y a pourtant rien de si précieux ; je l’ai bien senti et ne l’oublierai jamais. »

Il est des jours où les peuples ont vingt ans. La France aimait ; et le vieux duc de Brissac, montrant de la main à Marie-Antoinette cette foule, cette mer, Paris, le maréchal de Brissac disait bien : « Madame, vous avez là, sous vos yeux, deux cent mille amoureux de vous[1] ! »

Les délices de ce jour enivrèrent la Dauphine. Dès le lendemain, elle travailla à les ressaisir. Et quelle femme ne se fût donnée comme cette jeune femme à cette adoration de la France ? Aller au-devant de tous ces cœurs qui venaient à elle, faire son bonheur de l’amour de ce peuple, en emplir le vide de sa pensée, en occuper sa vie sans œuvre, l’illusion était trop belle pour qu’une princesse de dix-huit ans y résistât. Et voilà la Dauphine à rechercher ces cris, ces vivats, cette joie, d’autres journées du 8 juin. Elle va à l’Opéra, elle va au Théâtre-Français[2]. Mais il ne lui suffit pas du théâtre, où le respect enchaîne les transports du public ; elle aspire à descendre de son rang, à s’approcher plus près de ce peuple, à entrer dans le partage de ses plaisirs, à se

  1. Mémoires secrets de la République des lettres, vol. V.
  2. Ibid. II.