Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/119

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Après s’être fortement arrosé, il nous a entraînés au bal de l’Ermitage à Montmartre. Là, il nous a donné le spectacle d’une bouffonnerie soularde émaillée de toutes sortes d’esprit : d’une olla podrida de calembours, d’épigrammes, de bêtises, d’allusions à Dieu et au diable, d’exagérations comiques, de portraits bizarres, de charges à la fois de vaudevilliste et de rapin en état d’ivresse : tout cela entremêlé de remuements frénétiques, de démanchements de torse, de grattements de singe, de hop de cirque. Il interpellait à tout moment sa danseuse, comme la nourrice de son petit, lui recommandant de ne pas échauffer son lait, et traitait de « mon oncle » le municipal chargé de la surveillance du bal, en le suppliant de ne pas le déshériter. Enfin, soudainement, il a improvisé une danse qui était la caricature de toutes les danses, moquant, avec un pantalon qui avait des jours dans le derrière, la marche des salons, singeant la Petra Camara et ses coups de hanche, mimant la lorgnette de Napoléon et sa main derrière le dos, talonnant une bourrée, exécutant les enchaînements de pas les plus compliqués, puis faisant l’avant-deux d’un ataxique avec l’affreux déraillement des jambes, puis se gracieusant comiquement et embrassant les pas de sa danseuse à terre, etc., etc.

— La sauvagerie est nécessaire, tous les quatre ou cinq cents ans, pour revivifier le monde. Le monde mourrait de civilisation. Autrefois, en Europe,