Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/256

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même désinence. Ainsi, par exemple : Je vais bien, se dit : « Je de gue vais dai gai bien den gen. » Une langue impossible, martelée de sonorités de diphtongues, et qui vous passe contre l’oreille comme une brosse dure.

À mesure que je vois des ménages, deux choses me frappent. D’abord c’est, la solennité de cette chose, le mariage. Cela donne à l’homme une assiette, une dignité, une sorte de fonction, je ne sais quoi d’occupant et d’officiel. Bref, le mariage me semble une magistrature couchée. Mais encore ceci, le mariage vu dans les intérieurs, m’apparaît comme un concubinage affiché et s’étalant dans une impudeur glorieuse. J’y vois l’image d’un monsieur et d’une dame dans leur lit, la conjonction corporelle par-dessus les blonds petits cheveux de l’enfant ; et l’enfant arrive à me faire l’effet d’un phallus dessiné sur les murs.

Dimanche 9 mai. — Nous dînons à Bellevue, chez les Charles Edmond, dans une petite maison, toute pleine de mousseline, d’un frais et joli luxe de tapissier et de femme : un petit nid avec un jardin grand comme une corbeille, où il n’y a de la place que pour des fleurs. Et là-dedans le sourire de l’œil de Charles Edmond, et l’accueil et la bonne enfance et le franc rire de Julie. La causerie va à Proudhon et à son livre, dont Saint-Victor jette des morceaux au vent, et Charles Edmond parle curieusement de