Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/277

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de Paris, déclare que la littérature est déjà domestiquée par eux.

Le dîner se termine par un humoristique récit d’une pendaison à Londres, fait par Gavarni. Une petite pluie fine, — il pleut toujours quand on pend, — le patient en paletot de caoutchouc et en bonnet de coton, un ministre anglican qui lui lit du Bonhomme Richard, pendant qu’on passe dans la foule des assiettes de petites dragées blanches.

13 novembre. — Habiles gens, ces philosophes académiques du XVIIIe siècle, les Suard, les Morellet, plats, serviles, rentés par les seigneurs, à peu près entretenus de pensions par des grandes dames, avec aux jambes, les culottes de Mme Geoffrin. Ces âmes d’hommes de lettres-là font tache dans ce libre XVIIIe siècle par la bassesse sourde du caractère, sous la hauteur des mots et l’orgueil des idées. Le monde de l’art, au contraire, contient les nobles âmes, les âmes mélancoliques, les âmes désespérées, les âmes fières et gouailleuses, comme Watteau qui échappe aux amitiés des grands, et parle de l’hôpital ainsi que d’un refuge ; comme Lemoyne qui se suicide, comme Gabriel de Saint-Aubin qui boude l’officiel, les académies, et suit son génie dans la rue, comme Le Bas qui met son honneur d’artiste sous la garde de la blague moderne.

Aujourd’hui, nous avons changé cela : ce sont les lettres qui ont pris cette libre misanthropie de l’art.