Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/292

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14 mai. — Charles Edmond, qui a vécu partout et connu tout le monde, et qui, de temps en temps, dans la causerie, entr’ouvre ses mémoires, et en tire une curieuse figure, un souvenir caractéristique, nous conte ceci, à propos de la susceptibilité nationale des Italiens.

Il y a sept ans, il se trouvait à Nice, en même temps qu’Orsini avec lequel il était assez intimement lié. Un matin, Orsini l’invite à déjeuner, il refuse, lui disant, en forme de plaisanterie, qu’il est un mangeur sérieux, aimant un morceau de bœuf, et que les Italiens se nourrissent de polenta et de macaroni. Là-dessus il s’en va déjeuner chez une comtesse russe à laquelle Orsini faisait la cour. Pendant qu’il est là, un comte Pepoli, ami commun d’Orsini et de Charles Edmond, le fait demander dans l’antichambre, lui dit qu’Orsini a consacré toute sa vie à la patrie italienne, qu’il n’y a pour lui de plus mortelle injure qu’une offense au drapeau italien… et, de fil en aiguille, Charles Edmond découvre qu’il venait comme témoin à cause du propos sur la polenta et le macaroni.

Là-dessus survient la comtesse, qui se moque tellement d’Orsini, qu’un peu honteux de sa folle susceptibilité, il se raccommode avec Charles Edmond.

22 mai. — Chez Charles Edmond nous rencontrons About. En nous promenant dans le bois de Bellevue, il cause, il s’ouvre, il s’expansionne. C’est la mesure d’intelligence d’un homme du monde très intelligent,